Bonne nouvelle : après une décennie de nanars insipides, Tim Burton vient de réaliser son meilleur film depuis, au moins, Big fish. Non qu’on tienne un chef-d’oeuvre, mais la rencontre du cinéaste avec le classique de Lewis Carroll a le mérite paradoxal de renouveler un peu l’imaginaire carbonisé du cinéaste. Cela ne tient finalement pas à grand chose : une actrice merveilleuse (Mia Wasikowska) dans un univers livré clé en main. Burton, qui a depuis longtemps délaissé toute prétention à la moindre inventivité narrative, s’en remet au plaisir simple de l’exploration téléguidée, le film tirant un charme assez extraordinaire du contraste entre le naturel un peu effaré de son héroïne (peut-être le personnage le plus incarné que Burton ait jamais mis en scène) et l’artifice froufrouteux de sa construction onirique, sorte de RPG chic entre gothique à la Harry Potter et pub Cacharel.
Si elle liquéfie complètement le récit (la partie centrale, complètement désossée), cette fluidité un peu folle trouve dans la 3D une prodigieuse source de vitalité esthétique. Jamais, peut-être, disons depuis Batman returns, Burton n’avait semblé autant stimulé par un défi technique. Il faut moins entendre dans ce challenge une avancée à la Avatar (Burton, qui se situe à l’opposé d’un cinéaste technicien à la Zemeckis ou Cameron, n’hésite d’ailleurs jamais à utiliser cet artifice dans une perspective purement ludique et foraine), que l’adéquation parfaite entre nouveauté de la forme (un prototype esthétique façon Charlie et la chocolaterie, mais poussé dans ses derniers retranchements) et puissance des visions tout à fait archaïques auxquelles elle permet de revenir. De son bestiaire fabuleux, de sa plus simple idée (Alice enjambant des masques flottants sur une eau de mystère), Burton tire sans forcer un pouvoir de sidération presque miyazakien. Inutile de préciser que cette inspiration totalement gratuite, s’élevant au-dessus du récit classique, avait complètement disparu de ses précédents films.
Rien que pour cette euphorie retrouvée des matières et des textures oniriques, Alice au pays des merveilles saisit dans sa continuité aléatoire. Dans le grand bouillon de ses rebondissements, ce ne sont pas les grands mouvements du récit (la bataille pompière et manichéenne de la fin) qui s’impriment, mais une multiplicité de détails ou de fragments qui finissent par créer l’illusion d’un ensemble. Le caméo de la petite grenouille-soldat du début, exceptionnel instant burlesque, ou bien, plus tard, le découpage de la séquence de la mort du dragon, entre autres, figurent parmi les plus belles scènes réalisées par le cinéaste. Reste Depp, fabuleux en chapelier fou, et toute une batterie de personnages (sommet : le chien neuneu) qui font crépiter cette belle expédition graphique. Burton n’a jamais été un grand cinéaste, juste un trublion baroque qui trouve, dans la pâte acidulée de la 3D et dans le simplisme disneyen le plus rudimentaire, l’occasion de mille tours de force optiques, comme cet admirable enchevêtrement de perspectives opposant au sein de mêmes plans la reine de coeur et son cavalier rouge. On en redemanderait presque.