Thématique phare de cet automne 2005, les enfants kidnappés, disparus, vendus, et leurs papas : Keane, Alice et bientôt L’Enfant, tous cannois (quinzaine / quinzaine / compèt’). Américain, portugais ou belge (les Dardenne), leurs titres triangulent un territoire de fiction. Nom du père (Keane) ou de l’enfant (Alice) ou nom générique (L’Enfant) désignent vers quelle neutralité on tend ici. Non pas la mollesse d’un Broken flowers -film sans père, sans fils, sans esprit-, plutôt une sécheresse de briques et de blocs où l’enfant est un pivot tellement solide qu’il interdit toute digression, requiert toute attention, convoque une obsession univoque. Illustration avec Alice, premier film de Marco Martins, titre-prénom d’une petite fille disparue, un jour en sortant de la maternelle. Depuis son père la cherche. La mère, bizarrement, est presque éjectée du film. C’est cette neutralité presque paralytique dont on parlait : besoin de se retrouver avec un ou deux éléments quand il s’agit d’enfants perdus. Basta la mère, donc, c’est un peu dur. Reste Mário, père paumé que l’on chope dès l’ouverture du film distribuant des prospectus aux passants. Il s’est juré de retrouver Alice, au moyen d’une méthode radicale : partout dans la ville il a disposé des caméras qui enregistrent une rue, un passage, une place. Chaque soir, Mário dérushe : visionne simultanément cinq ou six cassettes, appuie sur pause, fait des captures d’écrans, épingle des photos sur un mur, cherche sans relâche -Alice, disparue.
On voit bien où va le film. Personnage entièrement centré sur son horizon, au point qu’il se définit par ce qu’il vise plutôt que par ce qu’il est ou ressent, corps tendu vers l’au-delà inaccessible d’un retour à l’équilibre. Esprit entièrement requis par sa tâche, vie rythmée à l’extrême (changer les cassettes, regarder les bobines, changer les cassettes), et chaque soir Mário est sur scène pour jouer une pièce de théâtre américaine, il est acteur c’est son métier. Sur ce versant, Alice convainc à peine, malgré sa tension et sa rigueur narrative, tant la modernité qui y est en jeu parait légèrement compassée. Sur un autre, pourtant encore plus lourd théoriquement, Marco Martins s’en sort bien. L’autre versant du film, c’est le dispositif mis en fiction des petites caméras de surveillance. Thème très mode, le cinéma comme un talkie-walkie pour bébés, ceux que l’on met dans la chambre des petits pour veiller sur leur sommeil. Alice alors fonctionne, comme vue sur la ville, les foules, ultramoderne terreur de s’y égarer, de lâcher la main qui vous retient, comme on se perdrait dans une photo de Gursky. Dommage que le réalisateur tienne à tout prix à un suspens malvenu (cette petite fille-là, est-ce Alice ?), étiré inutilement (la longue chasse hésitante, pour rien, à travers Lisbonne), ne sachant comment conclure, paradoxe à part, un film coupant.