Ne pas se fier à l’illusion d’optique : ce type allongé sur un tas de billets de banque comme l’Oncle Picsou sur ses pièces d’or, c’est bien Jean-Pierre Darroussin, et pas Jacques Chirac (la ressemblance est frappante). Un Jean-Pierre Darroussin qui, à force d’omniprésence dans les grasses comédies d’arrière-saison (en attendant l’immonde C’est le bouquet ! en salles le 11 décembre 2002), s’impose comme un possible arrière-petit-neveu beauf et dépressif d’un Bourvil middle-class. Un an après les innommables Portes de la gloire, les auteurs du diptyque de La Vérité si je mens nous replongent dans l’enfer de l’univers des VRP, systématiquement affublés, on ne sait au nom de quel préjugé social, de leurs petites moustaches, de leurs petits imperméables et de l’étroitesse de leurs petits rêves. Aldo (Darroussin), représentant en shampooings, est en instance de divorce avec une Valéria Bruni-Tedeschi plus neurasthénique que jamais, qui trouve le moyen de succomber au charme de Richard Berry, le crapoteux patron de son mari. Tout va mal pour Aldo, jusqu’au jour où la chance lui sourit : il décroche le pompon au loto et devient multimillionnaire, sans informer sa future ex-femme de sa nouvelle situation…
A l’origine de cette pochade, donc, un inavouable réflexe sexiste : bien planquer l’argent surtout, et plutôt deux fois qu’une, des fois que madame aurait d’intempestives pulsions de Galeries Lafayette et voudrait dilapider en frous-frous le patrimoine durement acquis par le labeur du mari. Très vite affleure le petit fond de commerce beauf qui alimente le film. Aldo, armé d’un chéquier intarissable, s’initie aux vraies joies qui donnent à la condition humaine sa dignité, les seuls plaisirs pour lesquels l’existence vaut d’être vécue : humer du bon vin, s’empiffrer de bonne chère, s’offrir une pute de luxe, se payer de beaux costumes sur mesure. Tout s’enchaîne tranquillement, les seconds rôles jouent comme des seconds rôles, le méchant (Richard Berry, increvable séducteur viril et médiocre) mange son pain blanc, et puis patatras : le film, qui jusque-là faisait d’incommensurables efforts pour se tenir correctement à table, ne peut plus se retenir et se lâche. Résultat, une interminable séance de pets, bruits de chiottes et autres régurgitations gastriques au beau milieu d’un salon de coiffure. A la fin, tout de même, Aldo redécouvre l’amour conjugal et accepte de partager avec son épouse son statut de nouveau riche. Sa femme se glisse alors sous les mêmes draps que ce concertiste intestinal dont le talent a été bruyamment prouvé. A sa place, on se méfierait.