Malgré sa très belle idée de départ -raconter la disparition des traditionnels forains ambulants du Maroc à travers le destin de trois personnages-, Adieu forain reste au final un film décevant. Daoud Aoulad-Syad n’a pas su s’emparer de l’envergure poétique de son histoire, et nous rendre sensibles à ses héros, pourtant dotés d’une psychologie intéressante : le père, patron du stand de loterie, est un zombie fuyant le souvenir d’un passé douloureux et qui attend sa disparition physique ; son fils, en conflit avec lui, est un être violent qui se révèle mythomane ; et enfin Rabii, le doux travesti, ne sait pas vers où orienter sa vie. Les trois hommes partagent le quotidien d’une même camionnette, qui leur sert à la fois de maison et de scène.
Il y a malgré tout quelque chose de touchant à voir cette vieille camionnette qui roule cahin-caha sur les routes du désert, vers un petit village du fin fond du Maroc. La vie de ces trois forains semble en effet appartenir à une époque révolue, avec le sentiment que le pays n’a plus besoin d’eux, qu’ils travaillent en vain. Oui, il y a vraiment quelque chose de touchant face à cet anachronisme, face à ce vieux métier de forain qui permettait de divertir les villages les plus reculés, désormais suralimentés en divertissements télévisuels. Un autre temps en somme… Ce sentiment de nostalgie parcourt en filigrane l’œuvre de Daoud Aoulad-Syad, cinéaste au regard rétroactif, comme si ce qu’il était en train de filmer n’existait déjà plus. La figure du père, auquel son fils rétorque lors d’une dispute « ah bon, parce que tu te considères encore comme vivant ? », devient l’emblème de ce processus de disparition. Mais c’est Rabii, le travesti, qui est le plus émouvant, car il symbolise une tradition particulière en passe de devenir caduque : celle des hommes déguisés en femme pour animer les stands des forains, à une époque où les femmes n’avaient pas le droit de le faire. Aujourd’hui les choses ont changé, et Rabii est la première victime de ces mutations.
Adieu forain laisse parfois entrevoir ce à quoi le film aurait dû ressembler. Ce sont ces beaux moments d’attente dans lesquels le réalisateur réussit à capter le rythme de la vie des gens, le sentiment du temps qui passe… Malheureusement, ces scènes sont rares, trop rares dans ce film qui se distingue surtout par la maladresse de ses digressions dialoguées. A l’exemple de la relation ambiguë entamée par Rabii avec une institutrice de village, péripétie qui ressemble à une pièce rapportée, dont la présence paraît incongrue au sein de l’histoire. Parfois, le réalisateur nous donne aussi l’impression d’avoir accolé bout à bout des scènes de manière totalement artificielle, réduisant la définition du montage à sa plus simple expression, celle d’un simple collage de morceaux de pellicules.
Un peu plus de talent dans sa mise en scène aurait pu hisser Adieu forain vers les sommets d’une œuvre poétique et émouvante, ce qui nous aurait évité de le ranger avec regret parmi les abîmes profonds, mais néanmoins fréquentés, des films ratés.