Le premier film de Jesper Ganslandt a au moins une grande qualité : celle d’échapper toujours in extremis à l’enjolivement arty, la stylisation contemplative menaçant pourtant l’ensemble de ses plans. Largement autobiographique, Adieu Falkenberg est moins pour son auteur (qui le réalisa en 2006, d’autres films lui ayant depuis succédé) le fruit d’un quelconque désir de raconter une histoire, d’introduire ses personnages par le biais d’une dramaturgie de pure fiction que d’une quête d’exorcisme : un bilan. Tout en effet semble saisi par le cinéaste (qui joue par ailleurs son propre rôle) dans l’optique d’une récupération purement sensorielle des quelques motifs susceptibles de résumer cette jeunesse à Falkenberg, petite bourgade un peu morne de la Suède profonde. Esquivant assez tôt l’approche satirique de la vie pavillonnaire – tendance Todd Solondz ou Larry Clark – que laissait pourtant augurer l’introduction de chaque membre de cette bande de jeunes cons, Adieu Falkenberg voisinerait malgré tout avec une autre branche du cinéma indépendant américain, plus « sensible » disons : Gus Van Sant (Paranoïd park, Last days) et Kelly Reichardt (Old joy).
Ici aussi, le sentiment d’indécision inhérent à la sortie de l’adolescence en même temps que l’anticipation d’une vie d’adulte faite d’éternels regrets, la fragilité des lignes de vie tiennent lieu de fils conducteurs à une fiction très minimaliste, comme vampirisée par la préséance des divers états de corps et autres flottements d’esprit. Holder, David, John et les autres s’offrent en bloc, plus que triviaux, n’ayant pour seul éclat que le possible apparentement de leur look (immenses rouflaquettes rousses, falzars un peu vintage…) à quelque réminiscence grunge ou projection hippie. Figures aussi affirmées qu’évanescentes, chacun des cinq protagonistes du film s’imposera par l’alliage d’une langueur un peu résignée (celle des éternels enfants de Falkenberg, ayant bel et bien renoncé à toute perspective d’échappée) et d’une vigueur franchement butée (cf. l’ahurissante course poursuite succédant à l’annonce de la mort d’un ami).
Adieu Falkenberg saisit avant tout par cette pleine disponibilité de l’image aux états d’âme et emportements des personnages. Si l’ennui guette au détour d’une conversation, c’est bien parce-que ces derniers (disons Holder et David prioritairement, dont la forte amitié sera le véritable vecteur dramatique du récit) se retrouvent eux-mêmes dépassés par l’épuisement de leur sujet. Si l’énonciation de leurs idéaux – notamment par l’intermédiaire de la voix off – donne envie de croire avec eux, même furtivement, au possible d’un futur, c’est parce qu’à l’instant de cette énonciation, n’existe bien à leurs yeux – et aux nôtres – que la joie provisoire accompagnant ce regain d’optimisme. Aussi n’y a-t-il pas de raison de reprocher trop longtemps à Ganslandt son excessive adhésion aux seules trajectoires et bifurcations de ses personnages, de ne pas introduire davantage de « fiction » à son cinéma (parents forcément hors jeu, un peu limités à leur statut de repoussoirs, de contre-modèles…) Quant à Falkenberg, ce fameux territoire plus ou moins ennemi, si la sensation de surplace de ses quelques habitants est largement notable, perdure malgré tout le sentiment que le mal brûlant David et sa bande excède la seule question géographique.
Le mal être des jeunes adultes, ce qui les empêche de croire en des lendemains qui chantent… Mais surtout la trace d’une éternité regardant et interrogeant prioritairement un tout jeune cinéaste et quelques amis d’enfance ayant comme lui grandi dans cette ville, partageant avec lui la conscience de son poids comme de son appartenance définitive à leur histoire : voila ce que saisit à son meilleur cet inégal Adieu Falkenberg.