D’emblée, Adieu envoie quelques signes / pistes très claires, qu’il faut prendre pour des certitudes. Certitude, d’abord, que c’est décidément là que se joue la partie la plus risquée et la plus importante du cinéma français d’aujourd’hui, là, dans sa frange la plus terrible, la plus électrique et la moins aimable -tressaillement qui court le long d’un étroit corridor, passant forcément par Grandrieux et des Pallières. Certitude encore, à voir l’ouverture fracassante du film, qu’ici la digestion d’une certaine modernité se passe bien. L’ouverture en l’occurrence : une série de plans sur l’assemblage de camions sur une chaîne de montage, pendant que vrombit, rauque, une guitare électrique. Série qui propose immédiatement la reprise d’une disjonction disons godardienne entre image et son, qu’Adieu va s’employer à tordre dans tous les sens, tandis que le camion (appelé à devenir le fil narratif du film) envoie vite la ligne durassienne. Arnaud des Pallières continue ce projet gigantesque amorcé depuis quelques films, que l’absolument génial Disneyland, mon vieux pays natal (à classer parmi les champions toutes catégories des meilleurs films de ces dernières années) avait pour ainsi dire porté à son zénith de puissance : un cinéma qui remue et secoue, habité comme on ne l’imaginait plus, plein comme un œuf, cinéma-tonnerre grondant, n’appelant qu’une sidération muette selon une opération qui court le risque de la terreur pure.
Le récit d’Adieu se sépare en deux routes, qu’emprunte parfois ce camion blanc immaculé. Route 1 : dédoublée elle-même entre la récitation de l’histoire de Jonas dans la baleine et l’exil forcé d’un Algérien fuyant son pays vers la France d’où, après avoir été avalé par la baleine-camion, il est contraint de repartir à la case départ. Route 2 : une famille rurale affronte le deuil d’un fils. La force d’une adresse (plus que l’adieu au pays, plus que l’adieu au fils, c’est un Adieu majuscule qui réclame d’être sondé, sa destination mystérieuse fouillée) s’accouple à l’hyper-puissance propre à des Pallières. Le film acquiert ainsi une densité inouïe, qu’il faut littéralement se coltiner sans espérer de repos, puisque les interstices incessamment induits par la mise en scène (entre images et sons comme à l’intérieur des images elles-mêmes), sont immédiatement remplis. Adieu se regarde en apnée, autant qu’il fonctionne en un surrégime pour lequel il a paradoxalement les épaules bien assez solides.
Impossible pourtant de taire à quoi carbure ce dragster. A des Pallières, on demanderait volontiers d’abandonner l’intimidation (plus encore que la simple démonstration de force) comme rapport au spectateur, auquel le cinéaste tend plutôt le poing que la main. Il y a bien de cela dans son film, une manière d’écraser sans répit sous le poids (infiniment riche et complexe, mais poids tout de même) de ses propositions, toutes passionnantes évidemment. Adieu est une machine, une grosse mécanique qui trace sa route comme le camion aveugle de Duel, et compte sur un spectateur idéal (résistant, contrapuntique) pour l’accompagner. Il faut dire aussi que ce cinéma-là, pour infiniment précieux qu’il soit, achoppe encore sur le jeu d’acteurs (tous monolithiques, bloqués dans un retrait caverneux vers l’intériorité) et devrait en finir avec la mise en perspective un peu artiste-pas-content du devenir animal de l’humain (cf. les chiens de La Vie nouvelle de Grandrieux, ici ce sont des porcs). Mais enfin, rien ne compte plus que cette certitude dernière : ce cinéma-là, énorme, est décisif.