Depuis Pitch black, météore de l’été 2000 qui lança Vin Diesel, on attendait avec impatience le nouveau film de David Twohy, passage annoncé vers la cour des grands pour ce féru de science-fiction survitaminée. Si Abîmes n’est pas, a priori, aussi impressionnant que Pitch black, il ajoute paradoxalement encore un peu plus de crédit au réalisateur, et ce pour deux raisons au moins. La première : Twohy y confirme un amour du cinéma de genre visiblement plus fort que les attraits commerciaux d’Hollywood (Abîmes est une pure série B indépendante, alors qu’une grosse commande aurait été un passeport vers la gloire autrement plus profitable pour le réalisateur). Une décision absolument aux antipodes de celle qu’a pris, par exemple, Jonathan Mostow (son « jumeau »jusqu’ici : auteur d’un petit film prometteur) en réalisant Terminator 3. La deuxième : Abîmes est un film qui, s’il n’atteint pas un véritable équilibre d’ensemble, recèle des trésors d’inventivité et de générosité.
A partir d’une intrigue simple mais passionnante (un sous-marin américain est hanté par de mystérieux fantômes en pleine seconde guerre mondiale), Twohy poursuit le travail amoureux sur le genre amorcé par Pitch black : un goût pour le mélange et l’entremêlement, tant d’un point de vue thématique (SF / action, thriller militaire / fantastique ici) que formel (l’utilisation de techniques archaïques et d’effets spéciaux très sophistiqués). Si le rythme du film s’en trouve heurté, partagé entre accélérations sidérantes et ralentissements de l’action (la dernière partie jouant d’une perte de tout repère visuel, étirée comme une longue dérive dans l’obscurité des fonds marins), sa puissance visuelle, elle, est tenue de bout en bout. Il faut voir Abîmes moins comme un ensemble homogène (le film de sous-marin traditionnel, auquel il emprunte toutes les figures classiques) que comme une expérience sensorielle absolument stupéfiante. Alors se démarquent des scènes de toute beauté, enchaînement de « visions » admirables (un reflet qui devient autonome, un visage sans trait derrière une vitres) et de sensations extrêmement dérangeantes (le submersible devenu une sorte d’homme-tronc plongé dans la nuit, à partir du second tiers du film).
Pour ces instants de très haute tenue, relayés par une maestria technique de tous les instants, Abîmes, petit film mutant, étrangement classique et baroque, traditionnel et avant-gardiste, se place en droite ligne de Pitch black. Cette constante prise de risque est suffisamment rare pour convaincre totalement du talent vertigineux, bien qu’encore relativement indécidable, de son réalisateur.