Tronches impayables d’un des programmes les plus incisifs et joyeusement paillards du PAF, Benoît Delépine (alias Michael Kael) et Gustave Kervern se mettent sur leur trente et un pour leur passage au cinoche. Il faut donc voir leur face grave et poétique dans ce film qui se voudrait sûrement sans concession et libre comme l’air. C’est malheureusement un raté total, pas spécialement nauséabond, mais sinistreusement pathétique, comme si la méchanceté anar de Groland se diluait dans la poésie glauque et naïve du cinéma belge. Il y a donc des freaks et des beaufs en cascade, mais tous sérieux, désespérément arty dans le sens bas de plafond du terme.
Misérable télétravailleur -et cocu de surcroît-, Delépine habite dans un pavillon d’un village du Nord. Pour bien se faire comprendre, le film montre la gare déserte en grand angle, les champs à perte de vue. Mais attention : c’est glauque et ouvrier, mais beau. Alors pourquoi ne pas céder au noir et blanc, au gros grain, bien rude, bien esthétisant, du style C’est arrivé près de chez vous, issu de la même boîte de prod ? Bref, Delépine se fait virer à cause de son voisin (Kerven), ouvrier agricole alcoolo-crado. A la suite d’une dispute, les deux affreux se font broyer les jambes par une moissonneuse-batteuse. Cloués sur un fauteuil roulant et seuls au monde, ils finissent par co-exister, unis par leur solitude. L’un suit l’autre sur les étapes du championnat du monde de moto-cross, tandis que l’autre suit l’un jusqu’en Finlande dans l’espoir de toucher des indemnités de la part du constructeur de moissonneuse responsable de l’accident.
S’inscrire dans la lignée de leurs idoles, telle semble la logique des deux apprentis-cinéastes qui enfilent les pires trucs et astuces de dévotion : charte graphique asphyxiante, structure d’ode à l’errance, poésie des plans composés, non-action auteurisante et une farandole de guests (de l’entarteur Noël Godin à Kaurismaki), comme pour se rassurer d’être un membre à part entière de la famille. Dommage, car le tandem disposait d’un certain nombre d’atouts pour incarner au cinéma leur extrême vachardise : des gueules si caricaturales qu’elles atteignent même une dimension olfactive, des corps naturellement cynégétiques (leur coté Don Quichote-Sancho, déjà extraordinairement exploités sur petit écran dont on trouve ici quelques traces), le thème du handicap, propice au trash et la formidable idée du monde du motocross, oasis de populisme éthylique et pitoyable, seul essai à peu près transformé. Hélas, en plus de céder au sentimentalisme à deux balles et à la poésie de bar des sports, le film gère mal son tempo, réfugié dans la non-séquence et dans l’étirement le plus soporifique. Reste à espérer qu’à l’avenir, le cinoche démystifié et la peur au ventre dissipé, Delépine et Kerven pourront pleinement coucher sur pelloche leur formidable potentiel corrosif.