Drôle de traquenard. Voici Paul Vecchiali, il est cinéaste. Adulé par de petits groupes raffinés, présent dans tout dictionnaire de cinéma qui se respecte, et même rétrospectivé à la cinémathèque française. Or Paul Vecchiali éprouve, c’est lui qui le dit, les pires difficultés à monter le financement de ses films, ce qui arrive hélas souvent, en France et ailleurs. Projets avortés, tiroirs pleins à craquer de scenarii, etc. De quoi s’aigrir un peu. La faute à qui ? Au système de financement à la française, autoproclamé meilleur du monde et souvent reconnu comme tel malgré une sensible érosion. Oui mais dans les faits, Vecchiali échoue toujours à l’étape clé qui enclenche toutes les autres, celle de l’avance sur recettes, aide offerte par le CNC et remboursable, c’est le principe, au prorata des recettes du film en salles. Puisque ses projets n’ont pas l’heur de plaire à la commission, Paul Vecchiali, cinéaste, est réduit à faire la manche, à vot’bon coeur m’sieurs dames.
A vot’bon coeur, le film ? Il en entremêle trois. Des bouts de rushes d’un vieux projet avorté, espèce de comédie musicale sur deux amants toxicomanes ; une histoire actuelle de Mandrin en rollers volant l’argent des riches pour le redistribuer aux pauvres ; surtout, une sorte de comédie noire voulue vacharde où Vecchiali assisté de Françoise Lebrun et de quelques amis décide de se venger et d’assassiner un à un les membres (fictifs, copains) de la commission de l’avance sur recettes. Drôle de traquenard, parce que voilà le spectateur obligé de signer de toutes ses mains disponibles la pétition de principe rédigée par Vecchiali. Trouvez-vous que cette histoire de voleur où mémés guillerettes poussant caddies et chansonnettes à la gloire du bandit généreux et autres faits d’armes de poésie de rue à la gloire du bon petit peuple, trouvez-vous que cette pantalonnade peut bien être tournée sans ponctionner le budget du CNC (la preuve, Vecchiali l’a fait) ? Oui ? Salaud ! medefiste ! sarkozyste ! Pensez-vous que cette romance sous-sous-demyienne où s’agitent maladroitement deux comédiens enfarinés peut bien rester au placard ? Oui ? Réac’ ! poujadiste ! tue-l’art vendu au grand capital ! Là où Vecchiali est fort, c’est qu’il titille effectivement un beauf tapi en chacun de nous, invitant à poser les deux questions qui tuent et qu’il ne faudrait pas poser : 1) mais qu’est-ce qu’il a à se plaindre celui-là, puisqu’il les fait, ses films ? Apôtre du cinéma pauvre, que ferait-il de tout cet argent ? ; 2) Et au nom de quoi l’aide du CNC serait forcément due à Monsieur Vecchiali ? En quoi est-ce un scandale qu’elle soit attribuée à quelqu’un d’autre qu’à lui ?
Monsieur Paul ne joue évidemment pas la pleurnicheuse mais plutôt l’anar sans illusion, plus malin et plus vif que tous ces ronds de cuir planqués derrière leurs bureaux (remember Francis Lalanne), celui qui sait qu’il se trouve du bon côté de tous les clivages. Invité à se taire et à acquiescer gentiment à la ruade du cinéaste drapé dans l’étoffe du survivant remuant encore pour cracher sur cette époque pourrie, il ne reste plus qu’à constater la subtilité de ce poujadisme à l’envers, de cette démagogie élitiste qui vous claque le bec et vous laisse pour toute alternative que plaindre l’artiste maudit ou avouer votre allégeance au système et à la connerie. Préférant ne pas rentrer dans ce piège à cons roublard comme tout, on se bornera à dire que le film lui-même, fait avec trois francs six sous, réalisé entre bons amis, est laid, rance, ringard, pas drôle, terriblement auto-satisfait.