A l’aventure vient clore une trilogie entamée en 2002 avec Choses Secrètes et poursuivie en 2006 avec Les Anges exterminateurs. Soit une histoire de quête sexuelle, avec comme point de fuite un questionnement sur la grâce, la jouissance, la liberté et le vivre-ensemble. « Encore », diront certains, et à tort. A l’aventure est l’un des plus étranges films de l’auteur, situé quelque part entre Choses secrètes et le splendide Céline. Soit une jeune femme, Sandrine, qui ayant fait un petit héritage, décide de quitter son travail d’employée du tertiaire pour explorer de nouvelles formes de sexualité. Dans sa quête, elle fera l’expérience de la libération, mais aussi de son impossibilité, des limites de son corps et du mystère du monde.
Le manque évident de moyens financiers fait de plus en plus ressembler le cinéma de Brisseau à un cinéma de chambre (sans mauvais jeu de mots), porté vers l’intériorité des choses, l’expérience intime, le voyage existant en soi plus que dans le monde, sondant la verticalité (les profondeur de l’être) davantage que l’horizontalité. Ici, rien que des lieux définissant une géographie intérieure, une enclave intellectuelle : un banc, un salon de pierres, un lit, une petite bicoque au milieu de nulle-part. Sans les contre-points qui accompagnaient d’ordinaire les personnages : les ciels, les paysages comme théâtre du monde, comme commentaires des actions des personnages ou au contraire comme indifférence divine. Même les collines inondée de soleil ressemblent à un paysage mental sans matière, inaccessible aux sens, simplement destiné à la contemplation de l’oeil et de l’esprit. Pour un peu, on a beau y parler des étoiles, l’univers physique n’existe quasiment plus, devenant pure image, comme si à force de vouloir pénétrer dans les chairs, le cinéaste était entré dans la tête de ses personnages. Sans doute son cinéma est-il tiraillé entre Ford et Bresson, entre une manière d’aventure dans le monde, de friction concrète avec lui, et une autre de confrontation avec soi. A l’aventure, d’évidence, appartient plutôt à la seconde catégorie, même si tous ses films naviguent peu ou prou entre ces deux pôles. Ce titre à quelque chose d’ironique et laisse à sa suite un soupçon d’amertume.
L’aventure, au fond, est impossible, et nous humains, semble nous dire Brisseau avec ses cadres en format carré, sommes enfermés dans des cubes de verre, réduits pour la plupart d’entre nous à contempler les choses sans jamais vraiment pouvoir aller au delà d’elles. Aux côté de Bresson et de Jean-Pierre Melville (et quelques fois Pialat), Brisseau est l’un des rares cinéastes mystiques français, sillon curieusement inexploré et pourtant riche de possibles. On ne voit guère que Philippe Grandrieux aujourd’hui pour reprendre le flambeau, même s’il s’engouffre plus sauvagement dans le brouillon originel de la matière, plus animal, plus mutique aussi, infiniment moins porté par le verbe. Ce verbe qui chez Brisseau est un autre moyen de cette quête mystique : ou plutôt il est comme la béquille de personnages qui ne pouvant atteindre la grâce par leur corps, incapables de s’abandonner à la pure jouissance de l’oubli, tentent d’atteindre à la sagesse par le réconfort intellectuel d’un soliloque ou d’un dialogue avec autrui (la relation platonique de Sandrine et du vieux philosophe ermite).