A portée de main, tenir une trousse de secours pour Castellitto et son film. Celle qu’on ouvre pour les bons soins des mélos quand ils exagèrent un peu beaucoup -comme le fait A corps perdu, qui accumule les clichés cheap, voire crasseux. Devant pareil spectacle, appliquer un premier baume en réaffirmant tout bêtement qu’au cinéma il peut être beau de se laisser aller à l’exquise difformité du mauvais goût et de la surenchère pathétique, si tant est qu’il y ait du style.
Mélo crapoteux, A corps perdu s’appuie sur une espèce de logique du pire. Pourtant, il y a cette ouverture almodovarienne : plongée parfaitement verticale sur le bitume où gît, pas immédiatement repérable, le corps tordu d’une adolescente renversée par une voiture, son casque de scooter jeté au loin, qui prend la pluie. A l’hôpital, elle s’immobilise dans le coma tandis que son père (Castellitto), chirurgien à l’étage au-dessus, déverse sur elle le récit de sa passion charnelle et chaude avec une pauvre fille des quartiers qui l’a dépanné d’un verre d’eau, qu’il a violée, qu’il baise depuis, trompant la chaleur, son ennui, sa belle et bourgeoise épouse. La fille se prénomme Italia (Penélope Cruz). D’où vient l’incompréhensible et honteux envoûtement du film ? De son refus de la bienséance, évidemment. Mais plus encore de ses morceaux de bravoures, ridicules à raconter, mais prodigieux à voir, tout de soufre et de sueur. On ne peut, de toute façon, écarter comme ça un film qui se coltine aussi brutalement la question de la souillure, celle du désir des hommes, même et surtout quand il n’est pas avouable, quand ils baisent comme ça, avec une pauvre petite mauvaise conscience -et elle : « tu veux manger des pâtes avant de partir ? », du coup, sur la table leurs doigts se croisent au moment d’attraper le ketchup qui tombe (zoom avant sur les doigts).
Voilà la bête, un carnaval orgiaque de visions sorties d’un mauvais roman Harlequin (le côté « passion folle à la clinique ») qui sature peu à peu le récit en un ahurissant mouvement sans retour vers les tréfonds de la vulgarité, tout en gardant une espèce de noblesse informe, quelque chose de l’ordre de la foire sentimentale, mais exécutée sans arrière-pensée, entièrement livrée au chaos des pulsions, fussent-elles d’une incompressible misère. De minutes en minutes, ça donne : lumière cramée d’été italien, regards chauds à faire péter les braguettes, suivi longitudinal d’un parallèle entre médecine et caresses (chaque scène entre Italia et le médecin prend les atours d’une auscultation pornographique), coïts monstrueux, grands paroxysmes passionnels où se tutoient entrailles et jouissances, hurlements et murmures, cheveux empoignés et bruit de mastication au restaurant -et puis ce nom, Italia, c’est comme si le personnage déclarait son amour fou à toute l’Italie, à tout un océan qu’il embrasse si fort qu’il le tue. Pareilles idées, pareille trivialité extravertie qui jadis était le boulet d’une foultitude de mélos oubliés, sont cette fois ramassées et remâchées sans retenue pour formuler au moins -c’est déjà immense- l’affirmation sauvage d’un style.