Elsa Fraulein SS, Train spécial pour Hitler, Nathalie dans l’enfer Nazi, Helga la louve de Stilberg, Les Gardiennes du pénitencier, pas vraiment le genre de films qu’on peut voir tous les jours au ciné, à la TV, ou dans les rayons DVD de nos supermarchés. Et pour cause, voici cinq porno-swastika, gestaporn, ou nazisploitation… les mots ne manquent pas pour qualifier ce sous genre du bis, descendant dégénéré consanguin au dernier degré des… Damnés de Visconti ! Le scandale éclate d’abord avec Portier de Nuit (1973) de la très décriée Liliana Cavani (superbe La Peau d’après Malaparte). Si la Cavani révulse tant, c’est surtout parce qu’on ne lui pardonne pas d’avoir été l’assistante du Maître, et de lui avoir voler ses têtes d’affiche (Dirk Bogarde, Charlotte Rampling… avec en plus Philip Leroy). Pourtant Portier de nuit n’est pas pire. Charlotte Rampling, des swastikas accrochées au bout des seins, vaut bien Malcom McDowell en string à croix gammée (Le Passeur d’hommes, Jack Lee Thompson), ou Donald Sutherland en fasciste pédophile (1900, Bernardo Bertolucci)… à chacun son fantasme. La même hypocrisie fait condamner le célèbre travelling de Kapo, mais rien sur Salo de Pasolini, sûrement à cause de cette fameuse « distanciation brechtienne » qui permet de séparer le bon grain de l’ivraie, qui manque assurément aux productions Eurociné.
L’exploitation répète à l’infini les mêmes recettes. Les Canadiens dégainent les premiers avec la trilogie Ilsa, même si Dyanne Thorne n’est franchement pas la plus jolie des chiennes SS du Reich. Les actrices de Tinto Brass sont autrement plus charnues et fessues, qui récupère à son tour Ingrid Thulin (et Helmut Berger) en descente des Damnés (Salon Kitty, 1975), et récidive en 2002 avec un chouette Black angel, « Senso 45 » à Venise. Citer encore Le Vice et la vertu du mal aimé Roger Vadim, jusqu’au tardif Black book, version Verhoeven, avec son héroïne charmante qui se décolore le minou pour mieux se balader à poil pendant toute la Deuxième Guerre mondiale. Comme toujours, les Italiens se montrent particulièrement inspirés (Carmine Garonne, Mario Caïano, Rino Silvestri…). Avec Bruno Mattéï, on touche le fond du fond : les acteurs censés jouer les décadents nazis sont des nains, bruns, hirsutes à moustache. Les actrices ne valent guère mieux. Helmut Berger en porte-jarretelles, c’était quand même autre chose !
Eurociné, grand pourvoyeur de Z devant l’immortel, ne pouvait décemment passer à coté d’un pareil filon. Venu de la SF, collaborateur à Fiction et à Satellite, Patrice Rhomm (ou Röhm, selon le degré d’aryanisation du nom, quelque part entre Rommel et Eric Rohmer) pose les bases de la série avec Elsa Fraulein SS en 1976. Grosso modo, pour faire simple, Hitler, qui a plus d’un tour dans son sac, envoie un « train-bordel » sur les lignes du front, pour remonter le moral de ses officiers. Elsa Ackermann (Malisa Longo, bandante) est la Kommandante en chef du convoi, truffé de micros pour recueillir les confidences sur l’oreiller des soldats qui sont impitoyablement fusillés en cas de défaitisme. Tandis que la résistance française veut à tout prix détruire ce maudit train, Elsa retrouve Franz, un de ses anciens amants, qui sert d’interprète au convoi. Mais l’Alsacien, de retour du front russe, n’a plus vraiment l’étoffe du nazi qu’elle aimait au début de la guerre, file un mauvais coton aux yeux d’Elsa, surtout quand elle découvre qu’il compte fleurette à Liselotte, une des « hôtesses » du train, laquelle appartient en réalité à la résistance. Ach ! Gross dilemme en perspective ! fidélité à l’amour ou fidélité au Führer ? Train spécial pour Hitler (1976), tourné dans la foulée, dans le même train que le précédent, devait être réalisé par Jesus Franco, mais c’est Alain Payet (alias John Love, Monsieur hard-crade du porno français, décédé en décembre 2007) qui s’y colle après que l’espagnol se soit fâché avec Papa Lesoeur pour des histoires de gros sous. Le film poursuit son train-train habituel avec son commando de putes ferroviaires, mené par une chanteuse de cabaret interprétée par Monica Swinn. Le même Alain Payet n’hésite pas à récidiver l’année suivante avec l’improbable bluette d’une résistante russe (Patrizia Gori) pour un officier allemand (Jack Taylor, grande figure du bis), que son chef de réseau envoie en mission secrète dans une forteresse nazie pour délivrer une espionne anglaise. Sur place, elle doit faire face aux avances d’Helga, la commandante vicieuse… d’où le titre : Nathalie dans l’enfer Nazi. Les Gardiennes du pénitencier (1979) accentue l’aspect WIP (women in prison) de la série. Un ancien officier SS (stock-shots tirés de Elsa Fraulein SS) se réfugie en Amérique du Sud où il monte une petite entreprise dirigée de main de fer par une maîtresse femme. Rien à dire les taches ménagères sont nickelles. Les prisonnières subissent les derniers outrages et Jess Franco tient la camera d’un film tourné sur la côte d’Azur et connu depuis sous de multiples versions. Enfin, l’action de Helga la louve de Stilberg (Alain Payet, 1977) nous transporte dans une dictature imaginaire (tous les membres du gouvernement portent l’uniforme), à l’intérieur d’une forteresse médiévale transformée en prison pour les opposantes du régime. Ambiance nues dans les dortoirs, une couverture pour deux et plus si affinités, sous l’oeil bienveillant des matons qui ne demandent qu’à participer. Pendant que Malisa Longo se paye du bon temps avec la rousse Patrizia Gori, le reste du casting est tenu par des acteurs de porno : Richard Allan (Queue de béton), Alban Ceray, Jacques Marboeuf… et Claudine Beccarie (Exhibition).
On a tellement fantasmé les jaquettes de ces films sans jamais les avoir vu, que forcément on reste toujours un peu sur sa faim quant on sait de quoi il retourne vraiment. Le rejeton limite viable du porno et du film de guerre est forcément contre-nature. Pour autant, l’édition DVD Artus est comme toujours absolument remarquable : copies parfaites, version complète inédite en VHS… Les bonus reviennent en détail sur le contexte et la réalisation des films. Daniel Lesoeur présente chacun d’entre eux. Les anecdotes ne manquent pas. Il n’oublie jamais de rappeler, histoire de désamorcer tout malentendu avec le MRAP ou la LICRA, que son père, Marius Lesoeur, le fondateur d’Eurociné, avait été résistant pendant la guerre. Fascination pour les exploits sexuels du Troisième Reich ? Aber nein, mein Führer ! L’ami Jean-Pierre Bouyxou revient sur ses déboires de scénariste – dialoguiste – acteur sur le tournage de Train spécial pour Hitler, tandis que l’excellent Christophe Bier, tout de blanc virginal vêtu qui lui sied comme à un mac, présente les nombreuses déclinaisons romans du genre. Au sortir de la guerre, bien avant que le cinéma ne s’en empare, certains éditeurs publiaient déjà les « sexploits » des Gretchens, Soudards et autres Gerfaut dans des collections populaires aux jolies couvertures criardes, mais il ne dit rien du chef-d’oeuvre de Marc Behm : La Reine de la nuit (Rivages), qui les enterrent tous.