Au Havre, on tue une femme. Parmi les 38 témoins qui on assisté à la scène sans réagir, un seul finalement (Yvan Attal) se décidera à parler, discréditant le récit des 37 autres. Après le film noir (Rapt), Belvaux adapte un roman de Didier Decoin (lui-même tiré d’un fait divers américain), et y trouve l’occasion de transposer au Havre la figure du justicier assoiffé de vérité dans un monde corrompu. Pêle-mêle on pense à Serpico, Les Hommes du président ou Fenêtre sur cour, pour les trois figures archétypales qui se partagent ici la tâche : témoin, journaliste et policier.
Le recours à la puissance didactique de la fable hollywoodienne offrait à Belvaux de travailler la matière brute et charnue de ces idées (vérité, justice, culpabilité, couple) dans tout leur relief mélodramatique. Ambition d’une noble naïveté, qui jure pourtant très vite avec l’acharnement pontifiant qui guide le traitement des témoins – en gros : Yvan Attal contre les méchants. Trop impatient de déployer l’intransigeance du moraliste-réalisateur, Belvaux a vite fait de renoncer aux enjeux perspectivistes qu’un tel récit lui servait sur un plateau, ne donnant la parole à ses témoins qu’à la condition de les écraser d’emblée sous son verdict.
C’était pourtant dans l’impossible réactivation de la fable morale, piste à peine entrevue, qu’il aurait pu s’éloigner élégamment de ses références, suivant la voie d’une sorte de mélancolie d’idéaliste, d’impossible happy end pour les coeurs purs. Et c’est d’autant plus dommage que 38 témoins gagnait, à l’évidence, à se rêver en film américain, ne serait-ce que dans sa manière de filmer le Havre en grande ville glaciale et dangereuse qui semble plier sous le poids du pessimisme moral de Belvaux. En ne prenant jamais la peine de discuter ce pessimisme, il fait l’effet d’un film de mauvais perdant, dont le mérite principal serait de servir de parfaite contre-fable au Havre enchanteur de Kaurismäki.