C’est quasi chimique. Bruce Willis était voué à tourner avec Richard Donner, faiseur historique d’Hollywood et porte flingue officiel de la virilité hollywoodienne, de Charles Branson à Mel Gibson. Qui plus est, la fin de carrière approchant pour les deux, ils se devaient de célébrer leur collaboration par un portrait en creux, pas quintessenciel mais, disons, classique. Il y a dans 16 blocs un petit côté panthéon des vieilles gloires, une volonté à peine voilée de s’imprégner du genre, d’en faire son linceul et de s’y envelopper tout entier. A nouveau, ne pas s’y tromper : Donner ne vise pas le chef-d’oeuvre mais prétend au moins se fondre dans un cadre vénéré, un peu plus sublimé que d’habitude. Du jamais vu chez lui, il y a même quelques jolis clins d’oeil : un personnage s’appelant Eddie Bunker, auteur culte de La Bête contre les murs, et l’histoire évoque très clairement L’Epreuve de force, un polar seventies de Clint Eastwood.
Willis incarne Jack Mosley, une caricature des flics qui ont fait sa gloire, plus alcoolo et nonchalant que jamais, une épave théâtralisée aux confins du grotesque. L’acteur est tellement grimé qu’il fait peine à voir, son jeu minimaliste enseveli par le fond de teint et les yeux mouillés. On lui confie une dernière corvée, convoyer une petite frappe au tribunal. Seulement voilà, le prisonnier doit témoigner contre une flopée de flics marrons et la traversée de la ville vire au guet-apens. Sur une trame de série B impeccable, le scénario trouve le bon tempo sans forcer son ingéniosité, renouvelant quelques figures imposées du genre. La course poursuite, exclusivement pédestre, joue davantage sur le ramollissement que sur la vitesse. Chaque noeud dramatique est soupesé, décortiqué : Donner prend tout son temps, construit ses séquences avec la patience d’un vieux maître un peu gâteux.
Le film s’engourdit, assez grumeleux, saucissonné plutôt, mais emprunt d’une sève bien à lui. On y lit une douleur bien réelle, une sorte de dépression in vivo comme si le film menait son autocritique tout en se construisant. D’autant qu’il ne se départit jamais d’une gesticulation pataude, d’abord boulet, ensuite matière suave et collante, agissant tel un blob : le flot de paroles du petit gangster, tapis sonore lancinant, le flic marron mastiquant son chewing-gum façon film noir de Fritz Lang. Mais c’est surtout l’évolution affective des deux héros qui se trouve le plus atteint par cet effet pâteux de disque rayé. Le premier ne jure que par le changement tandis que le second campe la posture inverse, et le tandem prend des allures de piston, l’un poussé puis freiné par l’autre. Curieux polar, qui atteint la dégénérescence du cinéma de faiseur : formaté et incarné à la fois.