Premier long métrage de Gela Babluani, 13 (Tzameti) arrive auréolé de sa propre mythologie : vendu comme une œuvre originale, loin des habituels canons « réalistes » du jeune cinéma français, le film a en outre remporté deux prix d’importance à Venise et Sundance. Trame étrange, vaguement ésotérique : un jeune homme se retrouve pris dans une jeu de roulette russe dans une grande maison isolée pour le compte d’hommes d’affaires en mal de sensations fortes. Réflexion sur le destin, récit existentiel, 13 (Tzameti) vise rien moins que cela. Entreprise séduisante sur le papier, en particulier cette idée que les choix et les dangers sont tout entiers incarnés dans les actions (peu de dialogues, sinon fonctionnels), loin de la dimension littéraire qui n’aurait pas manquer, ailleurs, de fournir le gros des réflexions sur la vie, la mort, la destinée et les vaches. De ce point de vue, Gela Babluani fait d’ailleurs preuve d’une réelle virtuosité, d’un art du découpage et de la durée des plans qui rend le film par moments assez efficace, hormis une première partie interminable et confuse.
Peu à peu, à mesure que le récit a cessé d’intriguer, il ne reste rien d’autre à se mettre sous la dent qu’une simple mécanique. On cherche en vain ce qui, à nos yeux, fait qu’un film dépasse sa propre mécanique pour accéder à des déterminations et des obsessions plus souterraines : moins le sujet en lui-même (des œuvres au sujet plus que ténu peuvent nous ébranler), que cette manière qu’ont les cinéastes les plus passionnants de se livrer à des obsessions secondaires en regard de l’intrigue, une façon de filmer un corps, d’insister sur tel détail, de magnifier ce qui dans le scénario tiendrait en quelques mots. La grosse limite de 13 (Tzameti) est là, dans cette manière dont la mise en scène déroule son scénario sans jamais vraiment s’en écarter et prendre ainsi son autonomie. Le jeu des acteurs par exemple est tout à fait symptomatique de cette propension à tout considérer comme une mécanique. Que des marionnettes réduites à leur simple fonction : qui du méchant, qui du chanceux, qui de l’homme d’affaire, lesquels ne constituent jamais une Humanité.
On rétorquera que c’est peut-être le sujet de Babluani, la barbarie, la transformation des êtres en automates dans un monde déshumanisé. Si tel était le cas, il manque au jeune réalisateur la dimension critique, c’est à dire son point de vue d’homme et de cinéaste. En l’état, 13 (Tzameti) paraît un objet bien creux (tout ça pour ça). On attendra donc le prochain film de Gela Babluani, L’Ame perdue des sommets avec Sylvie Testud et Stanislas Merhar, dont il vient de terminer le tournage, pour savoir si on tient un cinéaste en devenir ou un petit faiseur.