Lorsque 12h08, à l’est de Bucarest débute, on identifie tout de suite le ton légèrement ironique, la langue, les portraits décalé d’une réalité sociale en berne, à un autre film roumain découvert à Cannes en 1992, Le Chêne de Lucian Pintilie. C’est dire si entre 1992 et aujourd’hui peu de choses semblent avoir changé. Ainsi, le jour ne Noël dans une petite ville de province (à l’est de Bucarest donc), le présentateur d’une émission de télévision locale invite les auditeurs à débattre avec deux invités (un professeur alcoolique et un retraité) au sujet de la Révolution, et de cette question : les gens ont-ils manifestés avant ou après l’annonce de la mort des époux Causescu, et donc la Révolution a-t-elle vraiment eu lieu ?
Le film prend son essor durant la deuxième partie où se déroule l’émission, en substituant son regard à celui d’une caméra de télévision : le plan quasi unique d’un caméraman pas toujours au point qui filme ainsi d’un seul tenant le débat et ses à côtés dans la continuité. Une continuité, une durée qui finit par peser et qui n’est pas pour rien dans cette sorte de drôlerie malaisante et irrépressible qui s’épanouit peu à peu. Quelque chose du désastre personnel et collectif passe dans cette forme pauvre et inquisitrice qui ne laisse absolument aucune chance aux personnages d’échapper à leurs mensonges, leur médiocrité (que le réalisateur regarde néanmoins avec une sorte de bienveillance ironique), comme aux accents délateurs et mesquins des auditeurs dont le comportement est encore emprunt des réflexes de l’ancien bloc communiste. Le désastre est partout, dans la réduction d’un événement historique à des considérations triviales et narcissiques, jusque dans la nullité du caméraman, l’absence de professionnalisme de tous et toutes.
En s’appliquant à reproduire les hésitations et les ratages du caméraman d’alors (Porumboiu s’est inspiré d’une émission réelle), en ne cherchant jamais à donner une quelconque « valeur ajoutée » cinématographique à cette longue séquence, le réalisateur atteint paradoxalement à une forme d’épure burlesque où serait mis en avant une science des gestes et des attitudes. A ce sujet, les comédiens semblent d’ailleurs avoir inventé un burlesque déflationniste où une oeillade, un hochement de tête auraient remplacé les gestes amples et farfelus des burlesques classiques. Autant le début du film laisse entrevoir une comédie sociale un rien convenue, sans grands enjeux formels, autant cette deuxième partie dynamite toute convention pour s’aventurer du côté de l’expérience conceptuelle (la reproduction d’un direct vu depuis l’émission elle-même sans coupe ni faux-semblants cinématographiques).
C’est là, paradoxalement, dans ce désengagement du cinéma pour une simple reproduction de cette continuité que Porumboiu trouve son atout principal, la durée. Et l’ont sait combien à la télévision la durée peut être une grande puissance formelle (Le Loft ou La Starac en 24 heures sur 24). Difficile de dire, à ce titre, à quoi ressembleront les prochains films de Porumboiu. Pour l’heure, ce 12h08, à l’est de Bucarest est incontestablement une bonne surprise.