Dans les collectifs d’Ego Comme X, on avait déjà remarqué le trait de Xavier Mussat dont le personnage, ce Xavier aux yeux pochés et au nez cestacien, se heurtait délicatement au réel et à toutes ses manifestations dans une atmosphère ouatée, à la manière du Plume de Michaux. Dans Sainte famille, oeuvre impressionnante de maîtrise et de douleur contenue, Mussat s’attaque donc à l’une de nos belles institutions incontournables et à contourner. Le préambule offre en miniature les axes forts de son écriture graphique : un découpage presque scolaire, qui scande un récit où le symbolique et la métaphore permettent soigneusement à l’auteur d’esquiver l’ennemi réalité ou de la dévoiler sous un jour inattendu (procédé familier aux grands créateurs de chez Ego que sont Neaud et Poincelet), ainsi qu’un désespoir latent et kierkegaardien (la référence n’est pas fortuite, Xavier s’égarant -et s’emmerdant- dans le grand Nord, en Finlande plus précisément, à l’occasion d’un échec sentimental).
L’anamnèse peut alors opérer au gré d’un monologue lancinant où Xavier se risque à percer la figure clé et énigmatique de Sainte famille, ce père coupable d’une fuite du domicile conjugal quelques années auparavant. Parents catholiques de gauche, post soixante-huitards voulant bien faire mais assommants de contradiction (le père apprend à Xavier à se faire respecter et à ne pas marcher comme un pédé), Xavier Mussat. aurait assurément beaucoup à partager avec David B. sur ces hérédités aussi lourdes à porter que fécondes en devenir artistique. A ceci près que les mondes imaginaires et les nouveaux territoires mentaux explorés par le jeune David, qui devenait l’ami des fantômes dans L’Ascension du Haut Mal, offraient un échappatoire que ne connaît pas Xavier, qui s’acharne vainement à chasser les siens. Ce dernier ne cherche pas à faire passer un non-événement (un homme quitte une femme pour une autre femme) pour une tragédie familiale à la Eschyle mais restitue admirablement l’incapacité absolue de surmonter un choc qui a valeur de séisme intérieur (Xavier, prostré dans sa chambre, entend une porte claquer, un bruit de moteur avant un silence qu’il avouera ne plus jamais supporter). Ce basculement dans cet autre monde, le même en apparence, témoigne de brisures et de failles invisibles que Xavier s’acharne à ressasser dans son improbable roman de formation : les vieux idéaux de son père sont ainsi balayés par son engagement dans la punk attitude (« Never trust a hippy ») avant que son incommunicabilité ne se brise provisoirement sur un père de substitution du nom d’Ollaf, marionnettiste décalé qui confectionne des personnages tous dotés d’une infirmité.
Le graphisme de Mussat, très efficace, n’a certes rien de révolutionnaire, entre Sardon pour l’usage du noir et blanc et Menu pour les rares incursions dans l’ultra-expressivité, mais l’intérêt de ce Sainte famille est ailleurs. Peut-être dans un des plus beaux portraits de mère qu’il ait été donné de voir, personnage échappé d’un Bergman et luttant inlassablement contre l’oeil malin qui s’acharne sur elle. C’est cette figure solaire et tutélaire qui illumine par endroit ce superbe récit mélancolique. Mon père, cet anti-héros.