Il y a une sorte de tradition qui perdure dans la narration « japop », celle de refuser en bloc tout ce qui pourrait tendre à l' »explicatif ». Au lecteur/spectateur de trouver lui-même les clefs disséminées dans l’oeuvre pour appréhender l’intrigue. Ce genre de postulat s’applique généralement à tout ce qui touche de près ou de loin à la SF nippone, d’Otomo à Oshii, en passant par Anno et son mètre-étalon du scénario à tiroirs, Evangelion. Face à de tels monuments d’abstraction déconstruite, on peut parfois douter. Entre génie scénaristique et escroquerie intellectuelle, la manipulation n’est jamais loin, et il faut souvent prendre le recul nécessaire pour ne pas tomber dans le panneau de la « sur-intellectualisation » de la culture pop nippone.
Avec Blame, le problème ne se pose même plus. On a définitivement renoncé à analyser une logique autiste, obscure et autonome. Aucune aide à espérer de Killy et Shibo, les deux héros du manga. D’ailleurs, pourquoi des protagonistes s’évertueraient-ils à décortiquer et pré-mâcher un contexte pour le lecteur, organisme externe et détaché ? Muter, se dédoubler, traverser l’espace-temps, faire des incursions dans la réseausphère, tout cela semble tellement normatif pour les héros de Blame, tellement routinier, qu’on finit par ne même plus se poser de questions. L’architecture même du décor, un amas de techno-pourriture tentaculaire et réticulaire, semble prendre le pas de ses habitants : aussi mutant que les créatures génétiquement modifiées qui le peuplent. Une structure générale finalement assez proche des jeux-vidéos -qui s’incruste de plus en plus dans la narration nippone, cf. Avalon. Des niveaux à passer, des gentils, des méchants, des boss, des transformations. Et si Blame était beaucoup plus simpliste qu’il en a l’air ? Autant considérer l’ovni de Tsutomu Nihei sous cet angle avant de tomber dans l’excès analytique qui plonge trop souvent le lecteur dans l’état irréversible de nerd-otaku méthodique et obsessionnel.