Si on ne se lasse pas de parler de Blame, le chef-d’œuvre de Tsutomu Nihei, c’est sans doute parce que c’est un des rares chocs esthétiques -avec Serial Experiments Lain– qu’on a pu ressentir ces dernières années au sein de la production nippone anime-manga. Une esthétique glauque et dérangeante, une version papier de l’univers malsain et visionnaire de David Cronenberg. De ce point de vue, Blame continue sur sa propre lancée, même si le troisième volume est beaucoup moins traumatisant que le second.
Résumons-nous : après un premier volume quasi mutique et d’une abstraction glacée, et un deuxième tome plus bavard qui se présentait plus comme une suite de nouvelles, ce troisième chapitre, donc, dévoile enfin une intrigue plus marquée. On sera honnête, on a encore un peu de mal à en mesurer les tenants et les aboutissants, mais c’est un premier pas vers un réel enjeu pour ce qui était jusqu’à présent plus une errance désabusée et nihiliste dans un purgatoire post-urbain pour une nouvelle race d’hommes technoïdes et génétiquement modifiés qu’une véritable saga SF post-humanité.
Killy, le ténébreux héros de Blame, s’est désormais débarrassé de son envahissante solitude en s’adjoignant les services de Shibo, une jeune scientifique qui doit bien mesurer 2 mètres 12 -ou bien ce sont tous les autres personnages qui sont atteints de nanisme. Constamment poursuivis par les « Sauvegardes », cyber-androïdes aux têtes de poupées-poupons, ils finissent par se réfugier dans un village d' »électropêcheurs », sortes de néo-rastas paisibles et accueillants. Killy y découvrira qu’il n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler un péquin moyen… Après un court coma, il se déniche un pouvoir, une extra-vision qui lui permet de voir la véritable nature des créatures qui l’entourent, et de démasquer une Sauvegarde « supérieure » qui s’était infiltrée dans son équipe de joyeux drilles -celle-ci se révélant un adversaire particulièrement coriace.
C’est un peu confus ? Certes… Surtout, on nous a déjà fait le coup du « héros qui n’est pas vraiment ce qu’il pensait être »… L’absolue pureté du premier volume, qui s’éloignait des trames traditionnelles du manga SF, s’est un peu perdue en route. On ne s’en plaint pas vraiment. Chaque tome possède sa propre humeur, comme de subtiles variations narratives sur le même thème. En fait, la force de Blame tient tout entière dans son imagerie cauchemardesque et concentrationnaire, à la fois traditionnelle et constamment novatrice. De ce point de vue-là, Nihei est le seul véritable héritier d’Otomo qui, lui aussi, transposait dans l’avenir tous les traumas passés de la société japonaise.