Si on le confronte à la centaine de titres traduits du japonais qui débarque désormais dans les bacs des librairies tous les mois, Cornigule fait figure d’extra-terrestre. Et pour cause, les pages du jeune Takashi Kurihara ont originellement été publiées dans la revue trimestrielle AX, vaisseau mère de la bande dessinée alternative dans l’Archipel depuis la déchéance de l’ancêtre Garo. L’occasion d’entrapercevoir, pour la première fois en France, une frange de la bande dessinée japonaise contemporaine exemptée des contraintes qui pèsent sur le manga mass market.
La Cornigule en question est une petite corne qui a subitement poussé au sommet du crâne d’un minuscule ninja, aussitôt baptisée ainsi par un carabin nonchalant, et qui offre à son propriétaire un bien curieux pouvoir : celui d’atteindre un monde inversé, ou tout est exactement semblable au sien. A moins qu’elle ne révèle la véritable silhouette des petits fantômes -ennemis jurés de la redoutable Confrérie des ninjas savants-, ou qu’elle ne témoigne des séquelles du combat titanesque avec ce ninja de l’espace aux pinces de homard, ou encore qu’elle ne dissimule un clone amovible… Quelle importance ? Le monde de Cornigule n’est autre en effet que celui des jeux d’enfants, du « on n’a qu’a dire que » : un monde peuplé de créatures étranges, d’animaux qui parlent, de robots géants et de monstres de l’espace ; un monde où la mort est bannie et où l’on triomphe pourtant toujours de ses adversaires -pas bien méchants il est vrai ; un univers rétro-futuriste plein de surprises, en perpétuelle métamorphose, et où la seule règle semble être « fais ce qu’il te plaît ». Takashi Kurihara y anime sa petite galerie de personnages comme on joue avec des figurines à 3 sous, au fil d’histoires courtes entrecoupées de strips cocasses et au gré d’une imagination délirante, ayant germé sur le terreau fertile de la culture populaire japonaise des années 50-60. Il est d’ailleurs paradoxal que le travail résolument hors norme de Kurihara au regard des canons actuels du manga puisse être considéré avant tout comme un retour aux sources et un hommage nostalgique à la naïveté originelle de la bande dessinée japonaise, celle de Norakuro Tagawa, Astro boy de Tezuka ou Tetsujin 28 de Yokoyama : une production d’essence surréaliste, intrinsèquement infantile, marquée par un graphisme rondouillard et dégagée de toute forme de vraisemblance et de cynisme. Une bouffée d’air frais.