Si tout le monde connaît les dessins de Jean-Marc Reiser, a-t-on bien mesuré la puissance, digne de la Comédie humaine (fantasmes érotiques, amour libre, violence, etc.), qui les anime ? « Je dessine le pire parce que j’aime le beau », disait-il, dans cette France des années 70, celles du bonheur obligatoire, qu’il prit un malin plaisir à portraiturer avec une ironie carnassière. Homme de paradoxes, il révolvérisa (« les gens heureux me font chier »), en remplissant ses dessins de vomi, de sang et de sperme, les abjections des sinistres Trente glorieuses, afin de libérer son époque, pour qu’enfin la Beauté soit retrouvée.
A l’égal de bien d’autres recueils, Les Oreilles rouges est le livre d’un dissident. Tirés de Hara Kiri et Charlie mensuel, ces dessins sont ceux d’un visionnaire qui incarna l’esprit libertaire et déconnant d’une génération (de manière tellement plus convainquante qu’un Wolinski ou un Cabu). Sans concession, se riant de la censure comme du sérieux affiché par quelques-uns de ses contemporains, il laisse une œuvre complexe mais unitaire et qu’on ne peut réduire à un simple délire de potache surdoué.