La jeune auteure Nancy Peña brode, autour du motif du chat, une suite aventureuse de récits croisés. Espiègle et élégant. La légende dit que… la naissance de ce chat noir, que l’on va suivre à travers le monde et les années, est difficilement vérifiable. Et pourtant, on finit par croire à cette fable où se croisent des personnages de romans (Holmes, Watson, Alice…), comme on mord à l’hameçon, en dépit des « trucs » qui les rendent possibles, des tours de magie.
Le tour originel vire pourtant à la mauvaise farce : dans le Japon de la fin du XIXe siècle, un tisseur amoureux, éconduit par l’élue de son coeur, cherche à se venger d’elle. Il profite de l’évasion de l’un des chats qui ornent le kimono préféré de la belle pour dessiner à sa place un oiseau. La jeune femme se fait alors dévorer par les félins chassant le volatile. Le chat fugueur, revenu trop tard auprès de sa maîtresse, s’évanouit de nouveau dans la nature. C’est son parcours que l’on découvre tout au long des saynètes qui composent l’ensemble -ou, devrait-on dire, des tableaux- : le minet est baladé, à la recherche de son kimono, à travers Océans et Continents, de l’Asie à l’Europe, où, dans les capitales française et anglaise, la mode est au coloré vêtement japonais. Essaimant ses moustaches, le félin fait de curieuses rencontres, dont ces Holmes et Watson forcément en pleine enquête, pique-niquant, en bon vieux couple, sur une venteuse plage anglaise.
On pourrait craindre que Peña ne nous mène nulle part. Or elle nous promène, certes, mais le voyage s’avère prenant, et elle clôt réellement son histoire, en lui conférant un sens somme toute logique. Chaque élément narratif s’imbrique parfaitement aux autres, chaque chose, finalement, est à sa place. Une sorte de chaos qui trouve son équilibre dans la diversité des formes, des styles, des tons employés, à la façon de ses estampes japonaises qui semblent parfois, à nos yeux d’Occidentaux, d’une harmonie plus dynamique que sereine.
La forme fait ici beaucoup pour attirer l’oeil: elle reste cependant tributaire du style d’un David B., surtout dans les passages oniriques. De même le pseudo-japonisme des séquences de fable a un air de déjà-vu, sans relecture vraiment personnelle, ce qui n’empêche pas l’ensemble d’être séduisant. Cette esthétique colle bien à la figure du chat noir de l’histoire : souple, délicat, fuyant, protéiforme. Peña s’amuse à jouer avec les caractéristiques félines, notamment avec l’inquiétant visage que renvoie souvent aux hommes les matous insaisissables : chaque personnage qui croise son chat noir se laisse aller, en le voyant, à ses peurs ou à ses fantasmes. Ainsi pour le marin, le félin prendra la forme d’une femme, tandis que Holmes, complètement défoncé, y verra l’ombre du Chien des Baskerville… Plaisant et malicieux.