Pour son retour très attendu, Milo Manara a choisi de revêtir la toge et de coiffer la couronne de laurier. Son point d’ancrage est, cette fois, au centre de la littérature romaine du IIIe siècle de notre ère. C’est l’histoire de ce malheureux Lucius, transformé en âne alors qu’il rêvait de prendre l’apparence d’un majestueux oiseau. On pense bien sûr à L’Ane d’or du poète Apulée.
L’hommage à ce texte classique n’était pas chose aisée, et il fallait tout le talent et la fantaisie du dessinateur italien pour préserver la poésie et la richesse de ce texte. Le talent, c’est son coup de crayon à la fois précis, inventif et franc, mis au service d’un procédé particulièrement séduisant lorsqu’il est bien maîtrisé : le lavis. Les planches sont à la fois simples et extrêmement travaillées. Le raffinement et le côté légèrement monochrome donnent un aspect suranné qui correspond bien au récit. Quant à la fantaisie, il s’agit bien sûr de l’imagination voluptueuse de Manara.
Hommage à Fellini, aux grands péplums ; par certains aspects, à Lorenzaccio ; dans les débauches des bacchanales, à Alexandre Farnèse. Onirisme et étrangeté également, comme dans la scène de la fausse agression ; quant à la magie et au fantastique de la métamorphose, elles apportent au récit une dimension baroque et légère. Car Manara ne fait pas de la BD historique. Il aime mettre dans son histoire toutes sortes d’influences. Il évite ainsi de réduire son album au genre de l’adaptation littéraire et littérale, ou de tomber dans l’érotisme gratuit et esthétisant à outrance. Les tableaux se succèdent au rythme de la métamorphose du narrateur. La volupté flirte avec une certaine cruauté, et la poésie triomphe tout au long du récit.