En temps normal, Les Chroniques de l’ère xénozoique proposent le long de son intrigue l’énigme suivante : comment les humains ont-ils pu être stupides au point d’avoir failli provoquer leur extinction dans une apocalypse écologique ? Mais dans le climat éditorial actuel, sa réédition appelle plutôt cette réflexion d’ordre littéraire : comment distinguer aujourd’hui un bon récit de science-fiction ou de fantasy ? D’une étrange manière, les thèmes de la pollution et de l’incompétence s’accordent aux deux interrogations. Alors que chaque jour se déverse une coulée ininterrompue de nouveaux héros sur les étals de libraire, l’amoureux de Flash Gordon et de Conan finit fatalement écœuré ou insensible aux charmes de cette forme de divertissement. Décomplexées, construisant sans gène le récit sur les plus vulgaires poncifs de l’histoire de l’entertainement -grosses voitures de flambeur, pin-up à tomber à la renverse et gigantesques monstres préhistoriques-, Les Chroniques de l’ère xenozoique rappellent à l’ordre. Il suffit juste d’un peu de sang neuf et d’intelligence pour relancer la machine. Et il en va de même pour l’humanité. Après 500 ans de déluge dont il est difficile de définir toutes les causes, Les Chroniques narrent la remontée de l’Homme à la surface de la Terre, la reconquête de ce territoire abandonné, dont l’écosystème est bouleversé et où de nombreuses espèces éteintes ont resurgi. Heureusement, quelques vestiges de son heure de gloire parsèment encore le sol, cités à demi englouties sous l’eau ou la verdure, et cachent en leur sein mille et un secrets sur le passé.
C’est dans ce contexte post-apocalyptique que le couple Hannah Dundee et Jack « Cadillac » Tenrec évolue, Yin et Yang d’une civilisation en reconstruction. L’un incarne la nature, mécanicien fasciné par les voitures et inventeur du moteur au guano de Dinosaure. L’autre représente la cité, scientifique un peu Machiavel et fine connaisseuse des usages politiques. Entre leurs quatre mains se tient le sort de toute l’espèce humaine ; un enjeu dont peu ont conscience et, évidemment, surtout pas eux. Car le plus grand mérite de Schultz est d’avoir vu en ce monde délabré un immense terrain de jeu -et non un banal enfer sur Terre-, où amour et mort sont ludiques en toute occasion. Ici on course du dino, on s’aime en bateau ; et au passage -seulement- on sauve le monde. C’est donc l’essence même du Golden age qui est convoquée, terreau idéal où se subliment les thématiques et esthétiques du classicisme sous un regard nouveau. Univers et graphisme semblent ainsi familiers à tout instants, sans qu’aucune filiation ou tutelle spécifique ne les marque. De Burne Hogarth à Wallace Wood pour les plus anciennes, de Frazetta à Corben pour les plus récentes, chaque case est l’occasion de vérifier l’entendement de ce dessinateur avide de fusionner en un tout certes instable, mais cohérent, l’intégralité du patrimoine graphique du comic book. Schultz ranime aussi cette dualité esthétique -croyance et distance- si cruellement absente chez les dessinateurs modernes. D’un coté, il embrasse sans retenue ses personnages et leurs péripéties, leur sculpte une carrure et une gestuelle en adéquation avec leur nature de héros ; de l’autre, son trait exhale cet écart ingénu et poétique qui empêche toute figuration fantastique de sombrer dans l’hyperbole adolescente. C’est ainsi que Jack et Hannah tiennent debout et agissent avec un naturel déconcertant, là où tant de contemporains sont contraints de se perdre en explications confuses pour rationaliser leur existence et compenser leurs outrances. Il est vrai que les héros ça s’incarne, ça ne se dessine pas.