Ce troisième volume des Brigades du temps vient transformer l’essai des deux premiers tomes, confirmant qu’il s’agit là d’une des meilleures séries d’aventures pour adolescents du moment. Dans un paysage éditorial dominé par les feuilletons japonais, la série fait figure d’outsider et trace une voie escarpée où riment de façon ambiguë humour et imaginaire, rappelant au passage la meilleure période des aventures de Valérian et Laureline.
La comparaison n’est pas innocente puisqu’il est également question ici de voyages temporels. Mais là où chez Christin et Mézières les escapades à travers le temps et l’espace étaient le prétexte à une réflexion sur les systèmes politiques, il est principalement question dans Les Brigades du temps de l’histoire de l’humanité. De manière très habile, la série repose en effet sur la logique du « Et si… », explorant les uchronies nées de bifurcations sciemment déclenchées par des « perturbateurs » aux origines et aux motivations obscures. La mission des Brigades du temps, venues du futur, est d’intervenir aussi rapidement que possible, dès la perturbation repérée, pour faire revenir l’Histoire dans le droit chemin sous peine de voir leur propre présent s’estomper. Après avoir relancé tant bien que mal le processus de conquête de l’Amérique par les Espagnols, remis en cause par l’assassinat de Christophe Colomb, la paire d’agents temporels mal assortie formée par le frêle Montcalm et l’épais Kallaghan est cette fois-ci chargée d’éviter la victoire des Américains à Pearl Harbour, qui aurait pour effet de décaler l’entrée en guerre des États-Unis et de modifier la situation en Europe.
On pourrait remettre en cause le parti-pris des auteurs : la victoire des Américains à Pearl Harbour aurait-elle vraiment repoussé l’entrée en guerre des USA? Plus largement, les tendances lourdes qui sont à l’œuvre derrière les faits historiques peuvent-elles être aussi simplement déviées, sur le mode de « l’effet papillon »? Mais on peut aussi accepter sans trop rechigner ce postulat, guidé semble-t-il autant par un souci pédagogique que par la jubilation des auteurs à redonner vie à des périodes ou des événements à la fois symboliques et visuellement riches. Sur le fond, la grande qualité de la série est d’offrir à ses jeunes lecteurs l’interrogation suivante : le but des Brigades justifie-t-il les moyens employés et leurs conséquences – comme par exemple les massacres liés à la conquête de l’Amérique ? Sans compter que les deux personnages sont fréquemment obligés de faire eux-mêmes des victimes innocentes. En d’autres termes, comme le formule l’un des deux héros à la fin du volume 2 : sont-ils vraiment du bon côté ? Derrière l’humour et l’aventure, Les Brigades du temps nous rappelle que l’Histoire est écrite par les vainqueurs.