La notion de temps diffère avec les cultures, c’est un fait. Il suffit de regarder un film ou une bande dessinée made in Japan pour s’en convaincre. Ellipses et flash-back déroutants, propension à focaliser sur tout ce qui pourrait sembler secondaire. Et surtout étirement ad nauseum de microévénements. C’est dire si, pour le journaliste-BD, la critique du premier tome d’un manga tient plus souvent du pari sur l’avenir que d’un jugement définitif. Constat d’échec ou pas, on ne peut malheureusement mesurer l’importance d’un manga qu’une fois l’histoire bouclée, ou, au mieux, lorsqu’elle est déjà bien entamée. Ce qui peut parfois prendre beaucoup de temps. C’est un peu le problème avec ce premier opus de Dark Angel : il ne s’y passe pas grand-chose. Après avoir battu son maître lors d’un combat, le jeune Dark est le nouveau Gensei (seigneur) de l’empire du Sud. Pour être totalement reconnu par ses pairs, il doit se rendre dans l’empire du Centre. Malheureusement, dénué du moindre sens de l’orientation, il se perd et traverse par erreur l’empire de l’Est, ce qui est considéré comme un acte d’agression par le Gensei local. S’ensuit donc une série de combats entre Dark et les sbires du Gensei de l’Est, jusqu’à ce qu’un émissaire du Centre vienne remettre de l’ordre dans tout ça. Voilà. C’est tout. Et ce, sur 150 pages. L’affrontement entre les deux parties squatte au moins 90 % de ce premier tome, à grand renfort de déchaînements des forces de la nature et de superpouvoirs. Un peu comme dans Raika, ou Dragon Ball Z -mais en beaucoup moins débile et répétitif, rassurez-vous. On réservera donc son jugement sur l’intrigue, dès lors qu’elle semble à peine entamée. Mais on peut toujours se pencher sur le reste.
L’auteur de Dark Angel, Kia Asamiya, était jusqu’alors surtout connu pour les atmosphères sombres et urbaines de Silent Möbius. Ici, il adopte un style radicalement différent, qu’on pourrait se permettre de baptiser la « nippon-fantasy », un genre qui a fait les beaux jours des RPGs japonais. Les grandes étendues de verdure et les magnifiques paysages lacustres ont remplacé les visions post-millénaristes de l’enfer urbain. Asamiya est loin d’être manchot. Il maîtrise parfaitement son trait et Dark Angel est effectivement très agréable à regarder, sans la moindre sensation de « bâclage », qui obscurcit souvent bon nombre de mangas réalisés en série. On pourra tout de même lui reprocher son dessin, un poil trop classique, soigné mais impersonnel. S’il veut rejoindre l’élite des auteurs incontournables, du grand ancien, Otomo, au petit nouveau qui monte, Nihei, il lui faudra sans doute dépasser le stade du manga de série pour un imaginaire et un graphisme plus inhabituels. En attendant, outre le très beau travail sur la maquette et la couverture de Génération Comics, on pourra toujours dire que Dark Angel « promet ». Pour se faire un avis plus complet, on attendra que le deuxième tome soit publié, en espérant que nos espoirs seront confirmés.