Dans ce court essai illustré, la mangaka Keiko Ichiguchi parle sans chichis de son pays et des chocs culturels avec l’Occident. Le Japon comme vous l’avez rarement lu. Le nom de Keiko Ichiguchi n’était jusqu’à présent connu que du cercle des lectrices de manga pour jeunes filles, et encore: sa seule publication en France se résumait, jusqu’en ce début d’année 2007, au one-shot 1945. Malgré son contexte ambitieux, cette chronique sentimentale dans une Allemagne déchirée par le nazisme restait malgré tout centrée davantage sur la petite histoire (les intrigues amoureuses entre adolescents) que sur la Grande Histoire. En janvier est paru America, à la couverture façon Hooper très séduisante, dont le contenu diffère cependant peu des shojo (manga pour filles) classiques. En revanche, la lecture d’Ichiguchi se révèle très émoustillante dans le recueil de courts textes, malicieusement intitulé Pourquoi les Japonais ont les yeux bridés ?, sorti au même moment, soit dans la foulée de sa venue au Festival d’Angoulême 2007.
Clairement, l’intérêt des propos d’Ichiguchi est lié à son regard d' »expatriée »: en effet, l’auteure habite en Italie depuis plusieurs années (où a été originellement publié Pourquoi les Japonais…), et voyage régulièrement en Europe. C’est cette distanciation par rapport à son pays d’origine qui rend savoureuses ses courtes chroniques qu’elle illustre d’un dessin généralement humoristique. Ichiguchi aborde ainsi, en vrac, des sujets qui ont peu à voir les uns avec les autres, surtout guidée, devine-t-on, par l’idée d’aller à l’encontre de quelques idées reçues sur ces « bizarreries » nippones qui fascinent tant les Occidentaux : ainsi passe-t-elle en revue les thèmes de la censure au Japon (décrivant avec humour l’omniprésence des « caches » ou « effets de flou » dans les scènes érotiques des films), les otaku, les auteurs de manga, avant de s’attarder sur les nombreuses fêtes religieuses japonaises. Dans cette seconde partie, Ichiguchi se contente cependant de décrire les croyances et coutumes japonaises en laissant de côté ce ton gentiment critique qu’elle avait employé jusqu’alors. Affleure pourtant dans ces lignes un regard réprobateur sur le consumérisme qui frappe lesdites fêtes, et plus globalement, la société japonaise, ainsi que sur son “machisme”. C’est plus franchement qu’elle dépeint, sous forme de strips dans la dernière partie de l’ouvrage, les possibles malentendus culturels: les questions très axées politique des journalistes occidentaux (qui la mettent visiblement mal à l’aise, elle qui « dessine juste des BD », son attitude se révélant d’ailleurs pour nous sujette à discussion…) ou encore les quiproquos entre son délicat estomac et la riche cuisine italienne…
De ce propos, basé sur l’expérience du quotidien, naît finalement une vision d’ensemble, plus pratique que véritablement sociale, d’une culture toujours et encore opaque à nos yeux d’Européens. Et, justement, pour une fois, on dépasse l’exotisme et l’étrangeté (généralement bêtement mis en exergue dès lors qu’on parle du Japon), étant immergés, de l’intérieur, dans un monde décrypté en toute simplicité.