Qu’il soit, selon les éditions, découpé en 14 ou en 6 volumes, Akira est en fait une histoire en deux parties, dont le point central et névralgique est la quasi-destruction de Neo-Tokyo survenue dans l’épisode précédent. Ce quatrième tome est donc le premier de la face chaotique de la série. Otomo a cassé son univers symétrique et clinique pour le remplacer par un monde en proie à la décomposition et à la violence. Mais y avait-il forcément tellement plus à dire après le « réveil » catastrophique d’Akira ? On connaît bon nombre de mangas qui finissaient par sombrer dans le superflu, le surplace, voire le ridicule à force de s’étirer en longueur. Akira évite de justesse le naufrage en bouleversant la donne et en remettant les compteurs à zéro. Les personnages doivent faire face à ce grand chambardement, souvent de manière assez surprenante, à l’image du Colonel, passé du côté du bon droit. L’affrontement entre militaires et résistants a laissé place à un combat nettement plus accentué entre le nouvel Empire de Tokyo sous l’égide d’Akira manipulé par Tetsuo, et l’organisation plus mystique de Lady Miyako. Ce qui finalement ne change pas grand-chose : poursuites et batailles de rues sont encore le lot habituel de la série, parfois jusqu’à l’écœurement, mais Otomo se permet de plus en plus de libertés. Une propension à l’hyper-violence tant décriée par les détracteurs de la BD japonaise, et quelques scènes sexuelles plutôt glauques -généralement des viols, au mieux des tentatives.
Heureusement, Otomo sait conserver une certaine classe en réalisant des scènes de combat chorégraphiées comme des ballets sanglants, souvent terrifiants (l’exécution d’un « espion » par les membres du Nouvel Empire de Tokyo, notamment), parfois comiques. Mais il ne nous épargne pas toujours une certaine surenchère et une nette tendance à se répéter. Quitte à faire preuve parfois d’un manque d’imagination franchement surprenant lorsqu’il fait appel aux clichés les plus répandus dans la bande dessinée japonaise -la fusion homme-machine (bras articulé de Tetsuo), le mariage hasardeux scientifico-mystique… Mais on a le droit de penser que ce genre de leitmotiv est indissociable de la culture manga.
Boosté par le succès d’Akira, Otomo se laisse aller aussi à quelques critiques « politiques », en brocardant la résurgence d’un certain néo-nationalisme, exacerbé ici par Tetsu et son « second », masquant des intérêts plus personnels, ou en fustigeant l’opportunisme américain. Même si son analyse peut paraître un peu datée -Otomo n’a manifestement pas prévu la chute de l’empire soviétique qui profite ici du chaos ambiant pour prendre une petite revanche sur son vieil ennemi nippon-, elle semble relativement lucide si on la replace dans son contexte, le début des années 80. Cette « deuxième partie » est donc encore plus pessimiste, plus sombre que les épisodes précédents, offrant un constat désespéré sur l’humanité et sa violence intrinsèque. C’est ce qui fait sans doute la grandeur de l’œuvre, malgré sa longueur et sa complexité.