Signe de la bonne santé artistique du comics que ce Spider-man : L’Empire, oeuvre crépusculaire, lointaine cousine du Dark Knight returns de Frank Miller. En effet, elle met en scène un Spider-man en vieillard impuissant (à la manière du Bruce Wayne de Miller), cacochyme et volontairement amnésique, perdu dans un New York fasciste (toujours Miller), aux mains d’une mystérieuse firme du nom de l’Empire (sic, mais pour sa défense le titre original de l’oeuvre est Spider-man : Reign), et ayant banni tous les héros ou vilains en costume. Après Dark Knight pour le côté super-héros retraité, c’est le versant Watchmen de ce bel opus, dans le bannissement sélectif qui a frappé en premier lieu l’araignée.
Ecrasé par le poids de la culpabilité, Peter Parker ressasse la mort de Mary-Jane, victime de radiations dont il s’estime responsable. Simple et médiocre vendeur de fleur, il est traversé de cauchemars épouvantables et d’hallucinations érotiques, assez audacieuses faut-il le remarquer. De manière inattendue, c’est son ancien patron, le teigneux J. Jameson, ancien dirigeant du Daily bugle, qui le sort de la profonde léthargie où il était plongé. La ville est sur le point d’être recouverte d’un filin infranchissable pour les super-héros ou super-vilains, et voir Spider-man en activité est pour le Maire un défi insupportable (on retrouve ici l’une des thématiques les plus fécondes des meilleurs comics de ces dernières années, à savoir l’émergence progressive du politique comme super-pouvoir le plus efficace, comme dans le Ex-machina de Brian K. Vaughan). Il fera donc appel à des ennemis historiques, le Chasseur en tête, de l’homme araignée, qui sera sauvé par Docteur Octopus en psychanalyste de choc, avant l’ultime bataille, avec pour allié inattendu l’Homme-sable, livrée contre sa Némésis, Venom, en proie à une faim insatiable. Plongée dans le noir, cette aventure bénéficie du trait puissant, dégradé et agressif, à la manière de Miller, de Haare Andrews, et de sa collaboration avec le fabuleux coloriste José Villarrubia (partenaire d’Alan Moore sur le projet Mirror of love).