Parmi les auteurs américains formant la génération post-Chris Ware et Daniel Clowes, la liste des prétendants au titre de nouvel espoir est très longue. Elle l’est à un point presque pénible tant on a l’impression de découvrir de nouveaux talents américains chaque année et elle l’est encore plus lorsqu’on lit ce que continuent à faire Clowes, Ware ou Charles Burns : des livres un cran au-dessus de tous les autres – pour s’en persuader, il faudra se plonger très vite dans le Wilson de Clowes (déjà disponible en anglais, et sortie prévue en France à la rentrée de septembre) ou le X’ed Out de Burns (sortie aux Etats-Unis et en France avant la fin de l’année), qui planent pas mal au-dessus de leurs petits disciples. Ce n’est pas pour autant le cas d’un nouveau venu, John Pham, dont l’oeuvre encore minuscule se distingue déjà par sa force d’évocation, son habile synthèse entre écriture romancée et dessins comme issus d’heures d’observation minutieuse – le tout donnant à penser que Pham entretient d’ores et déjà une vraie vision d’auteur, le menant vers des destinations encore inconnues de nous, mais dont on sent qu’il les maîtrise pleinement : ce garçon, né à Saïgon, mais élevé en Californie, a l’air de savoir où il va, exactement comme Daniel Clowes avait l’air de savoir où le mèneraient ses bandes dessinées comme Ghost world ou David Boring.
Le Sublife de Pham semble bien de la même trempe que ces deux derniers livres. On y est pris dans une suite de scènes très quotidiennes, banales et souvent presque mornes, qui débutent par une poursuite entre animaux : des chiens s’élancent à la poursuite d’un chat et le violent ballet animalier qu’ils forment met en place l’ensemble des sentiments traversant les pages du livre. Des sentiments plutôt familiers et angoissants, décuplés par le fait que Pham déconstruit les moments, les mouvements et les pensées en découpant ses cases avec détail, notamment lorsqu’il s’agit de mettre en lumière des instants de violence domestique. Tout chez lui renvoie à la description de ce moment si précis durant lequel le familier devient dévorant d’angoisse. Impossible dans ce premier livre de déterminer les contours du récit, de résumer une histoire : il s’agit là d’un premier tome et le suivant devrait arriver en France début 2011. Mais même si ce n’est là que le début d’un récit de très grande envergure et longue haleine, ce Sublife volume 1 n’est rien moins que troublant, happant et dérangeant, donnant sérieusement envie de savoir ce qu’il va advenir de la demie dizaine de personnages rencontrés dans ces pages d’une maîtrise absolue. Sans oublier que Pham a mis en place, dans les pages de garde de l’ouvrage, les prémices d’une autre narration, plus cosmique, et dont il devrait rendre compte plus longuement dans le volume 2. Les deux histoires se croisent-elles ? Rien n’est moins certain. Et ce d’autant plus que le deuxième volume contiendra une troisième histoire où l’on croisera ce qui semble être une version vieillie de Mad Max… Ce qui donne juste envie d’en lire plus. A suivre, au plus vite.