Londres, fin du XIXème siècle. Avec ce décor, vous vous attendez à une histoire du genre : quais brumeux, éventreur et détective. Mauvaise pioche ! Joann Sfar et Emmanuel Guibert vous racontent juste la tendre et rocambolesque idylle entre la fille d’un archéologue et une momie.
Cet album, que l’on pourrait qualifier de Gothique-Cartoon, met en scène Liliane, jeune et jolie personne alliant le charme de Mrs. Muir à la grâce de Mary Poppins, et Imother IV, momie encore alerte, jusqu’alors destinée à une vitrine du British Museum. Tous deux s’aiment joliment. Mais il y a son père à elle. Et il y a aussi son père à lui.
Hors de son sarcophage dès le début de l’histoire, notre amie la momie découvre Londres, Mozart et les effets grisants du thé. Il sème alors le désordre dans un honnête établissement avec une facétieuse maladresse évoquant le burlesque d’un Harold Lloyd. Car, outre le format quasi unique des cases, qui évoque la rigidité du cadre cinématographique, le 7ème art fait clairement partie des références de Sfar et Guibert. Lorsque le père de Liliane (pourquoi pas Lilian au fait ?) découvre les deux cadavres, on se souvient d’Arsenic et vieilles dentelles.
L’histoire elle-même rappelle les comédies fantastiques de René Clair. Et comment oublier Boris Karloff ? Quant à Londres, elle nous renvoie aux scénarios de Prévert, à ses poèmes aussi. En effet, le plaisir que l’on prend à la lecture de La Fille du professeur vient de cette ambiance tendrement poétique et fantastique, génialement rendue par le trait tantôt précis -les visages- tantôt évasif de Guibert. Ce traitement vous rappellera peut-être le travail du dessinateur Sfar sur Pétrus Barbygère. Sachez que les deux compères œuvrent dans le même studio parisien : l’atelier des Vosges.
Disons-le encore une fois, ce mélange Bierce-Wilde est réjouissant par sa drôlerie et son onirisme. Il en est ainsi de l’apparition des enfants d’Imother : le décor vire alors au Péplum. Des petits égyptiens aux bonnes bouilles de Casper sont là et le rêve s’estompe, laissant place à une réalité aussi fantaisiste, mais plus tragique : les enfants sont en fait des momies en costume. On pense alors au Balcon de Manet revu et corrigé par Magritte.
Alors, faites comme cet antiquaire, curieux croisement entre le capitaine Haddock et le professeur Mortimer, accompagnez nos deux tourtereaux et souriez à la fin délicieusement amorale de ce petit chef-d’œuvre.
Pascal Salamito