Le Capitaine écarlate, de David B. et Emmanuel Guibert, nous mentionnions la participation de celui-ci à un ouvrage de Benoît Peeters et Frédéric Boilet (Demi-tour) en tant que coloriste. Le précédent ouvrage de ces deux auteurs (Tôkyô est mon jardin) eut un autre « invité » en la personne de Jirô Taniguchi qui réalisa les trames de cet album noir et blanc. En fait, Jirô Taniguchi est un auteur à part entière, aux réalisations les plus variées. A l’instar du cinéaste Francis Ford Coppola, il participe à des travaux de commandes (avec différents scénaristes) mais publie aussi des œuvres très personnelles (en tant qu’auteur complet). De cette dernière catégorie, Casterman a publié trois ouvrages en langue française, L’Homme qui marche, Le Chien Blanco et Le Journal de mon père.
Récit contemporain en partie autobiographique, Le Journal de mon père se distingue singulièrement de la majorité de la production japonaise et possède beaucoup de points communs avec la bande dessinée européenne. Le sujet est très intimiste puisqu’il retrace l’évolution de la perception qu’un homme a de son père, au cours de la veillée funèbre de celui-ci. Si Le Journal de mon père est paru en trois parties (sans doute pour des raisons éditoriales), il est vivement conseillé d’acheter les 3 volumes directement. En effet, l’œuvre originale a été conçue en une seule partie et doit se lire comme un tout.
La structure du récit est exceptionnellement maîtrisée, aussi bien dans le déroulement général de l’intrigue que dans la relation de petites anecdotes. Plusieurs thèmes prennent sens, ou mieux prennent un second sens, avec la progression de l’histoire. D’autant plus que la narration est basée sur une succession de flashes-back et de scènes contemporaines.
En chroniquant Tante Henriette (autre livre en partie autobiographique), nous relevions un petit manque (difficilement explicable) sur la construction générale du récit. Le résultat obtenu par Jirô Taniguchi ne souffre pas de cette absence et amène le lecteur à un degré de sensations rare dans la bande dessinée. Le Journal de mon père dégage une émotion d’une profondeur et d’une intensité extraordinaires, il touche à une certaine sensibilité de l’être humain avec une justesse étonnante. Il est à rapprocher du Daddy’s girl de Debbie Dreschler et de L’Ascension du Haut-Mal de David B. Ces trois œuvres explorent à leur manière les conséquences psychologiques qu’un drame familial peut avoir sur un enfant. Si le lieu et l’époque sont décrits avec précision (USA pour le premier, France pour le second, Japon pour le dernier), les histoires sont universelles et s’affranchissent de toutes références géographiques ou temporelles pour trouver leur originalité et leur force propre.
Le Journal de mon père est l’un des meilleurs récits que la bande dessinée ait pu donner, en même temps qu’une œuvre « familiale » attachante. Il permettra ainsi de découvrir une facette méconnue de la production japonaise, et l’un des mangakas les plus prometteurs de son pays.
* en 3 volumes : Le Grand incendie – La Séparation – L’Apaisement