Ne pas se fier à l’intro gentillette du premier tome ou au dessin post-Tezuka seventies qui a forcément pris un sacré coup de vieux, Devilman est, au-delà des apparences, un manga sombre, violent et désespéré. Une noirceur appuyée qui tranche avec la naïveté de la plupart des sagas « giant-robotesques » (Mazinger, Grendizer, Great Mazinger, etc.) de son auteur, Go Nagai.
Pas de robots cornus cette fois-ci, mais une thématique plus « occidentale », entre super-héros from USA et fantastique Dantesque : un jeune lycéen, Akira Fudo, décide, sous l’impulsion de son meilleur ami, de « fusionner » avec le corps d’un démon pour affronter à armes égales l’armée de créatures sataniques venues envahir la Terre. Plutôt que de supporter sa nouvelle assignation comme un fardeau, Akira affiche clairement une attitude franchement volontariste face à l’acquisition des supers-pouvoirs. Une attitude très éloignée des mutations accidentelles qui caractérisent habituellement les super-héros américains. Akira est en fait pleinement conscient des avantages -une force surhumaine-, mais aussi des inconvénients -une animalité difficile à maîtriser- qui accompagnent l’absorption d’un corps démoniaque. On pourrait donc presque rapprocher Devilman de Batman, ne serait-ce déjà qu’à travers leur apparence. Sauf que chez l’homme-chauve-souris méga-milliardaire, le pognon se substitue aux pouvoirs paranormaux. Mais au-delà de cette distinction comportementaliste de taille, Devilman est surtout, par-dessus tout, un incroyable loser. Plus préoccupé par sa soif démesurée de violence que par la volonté de faire triompher le « Bien », Fudo est perpétuellement déchiré entre désir d’en découdre et le besoin de sauver des vies humaines -tâche par laquelle il échoue le plus souvent, laissant bien malgré lui son entourage se faire joyeusement massacrer, dépecer, dévorer, décapiter. Devilman rejoint donc ses congénères outre-Pacifique dans le Tragique. Non pas parce qu’il doit assumer une charge qui s’est imposée à lui, mais parce qu’il porte en lui une infime partie de la gangrène qu’il doit éradiquer. Et parce qu’il est, sans le savoir, manipulé par plus puissant que lui. À la fois trop conscient et complètement inconscient, Devilman emprunte en définitive un chemin qui ne peut le conduire qu’à l’échec. Un échec qui clôt cette courte saga de la plus belle manière qui soit, à travers un échange semi-érotique ambigu entre notre héros et son adversaire ultime débouchant sur la révélation d’une sanglante mutilation. Plutôt finir castré que de coucher avec le Diable, Akira Fudo endosse une dernière fois son rôle d’être humain plutôt que de se laisser entraîner du côté obscur de la Force. Une humanité par ailleurs vouée à l’autodestruction : malgré l’influence humaniste de Tezuka sur Nagai, l’auteur laisse à la connerie humaine le soin de détruire notre civilisation. Les démons, malgré leur goût certain pour la torture et l’anthropophagie n’auront eu, finalement, qu’à servir de catalyseur pour laisser les humains s’entretuer sous le poids de l’angoisse… Une vision de pessimisme absolu qui fait toute la force et l’originalité de cette oeuvre impressionnante.