Vraie surprise de la rentrée 2008, Mes hommes de lettres est un petit précis de littérature qui retrace en images la grande épopée des lettres françaises, du Moyen-Age à nos jours, avec un sens de la formule et du raccourci qui fait la nique à Lagarde et Michard. Sacrilège ! Qu’une bande dessinée ose ainsi s’attaquer à la fierté de nos bibliothèques, un tel outrage ne devrait pas rester impuni. De sources bien informées, on murmure d’ailleurs que nos verts académiciens ulcérés préparaient une expédition punitive sur Angoulême (2009, lire notre compte-rendu) pour châtier la responsable. Gaffe ! Issue de l’écurie Charlie Hebdo (préface de Cavanna oblige), Catherine Meurisse en a mâté des plus coriaces parmi les vieux chnoques du siècle dernier.
Que l’on déteste la bande dessinée pour lui préférer les vrais livres, ou vice-versa, chacun devrait pouvoir ici y trouver son compte. Plutôt que de creuser le sillon des vaines et laborieuses tentatives d’adaptations des classiques en BD, Mes hommes de lettre joue l’impertinence de rigueur, à la manière du défunt Chaland s’attaquant à Madame Bovary, le classique de Flaubert résumé en une seule page dans Métal Hurlant ! Parfaitement décomplexée et pleine d’humour, Catherine Meurisse maîtrise parfaitement le fond comme la forme, au service de son ambitieux projet. Elle a trouvé le ton juste. Chaque oeuvre est replacée dans le contexte historique et social de son temps. L’illustration est inspirée, la caricature fait mouche. Elle a le geste sûr, le trait vif, rapide et incisif, capable de vous croquer toute la Comédie Humaine en un seul dessin. C’est bien vu, pertinent, bavard mais jamais verbeux, pas scolaire pour un sou, la liberté de ton prévaut pour tutoyer l’intimité des écrivains et de leur époque. La mise en couleurs, juste ce qu’il faut, et l’inventivité du découpage font le reste. Mes hommes de lettre multiplie les temps forts : La Fontaine aux prises avec ses fables, la psychanalyse de Montaigne, la bataille d’Hernani comme si vous y étiez, Proust et sa madeleine… Les trouvailles sont nombreuses qui supposent une parfaite connaissance et proximité avec le sujet. Une gageure, dont l’auteur s’acquitte sans esbroufe, en toute modestie, sans se la raconter 9e Art, graphique novel et tout le toutim… « Déjà mes funérailles ? à la huitième case ? et bien, c’est vite torché… », bougonne Victor Hugo dans son coin, fort mécontent du peu traitement qu’on lui réserve. Quelle ingratitude ! Pour sûr, c’est pas la pléiade.
Au registre des réclamations, on déplore aussi certains grands absents dans cette anthologie personnelle non exhaustive. Trop rapide sur la fin ? Le XXe siècle parait un peu expédié manu militari. On en redemande. Nos écrivaillons contemporains se donnent pourtant bien du mal. Il y a tant à dire sur tous ces grands esprits germanopratins que la Terre entière nous envie, largement de quoi nourrir plusieurs autres volumes de cette grande fresque des Lettres gauloises. La bande dessinée n’offre pas tous les jours des albums aussi drôles et intelligents à la fois. Un vrai régal.