Une campagne soumise aux caprices des vents. Des brins de paille qui volent et se dispersent, préfigurant la confusion. Une maison qui trône à l’envers sur ce paysage désolé. Et un jeune homme, Umberto, juché, non pas sur le toit mais sur le rez-de-chaussée de sa maison, tétanisé, le regard dans le vague, en attente d’une libération qui tarde à venir. Il lui manque les clefs, ou plutôt l’itinéraire du chemin qui lui permettra de se retrouver, de se trouver. Surgit des sillons de blé un petit homme aux allures de messager. Son aspect est insolite et drôle, tout autant qu’inquiétant : c’est le Colporteur. Le gardien des clefs de la réussite, du rêve, de la lente quête d’une vérité, celle d’Umberto.
Arn et Tirabosco imaginent une fable aux allures d’initiation. Umberto, créature de papier, d’ombres et de lumière, veut dénouer les liens qui l’attachent à une vie qu’il voudrait autre. L’hostilité du monde agit sur lui comme des semelles de plomb. Sauf que lui, le monde et les autres, il les voit à l’envers. « Trouver le chemin jusqu’à la terre ferme », ce serait le rêve ! Accéder au devant de la scène en récitant les vers de Macbeth, jusqu’à s’enraciner pour ne plus se perdre…
Le noir et le blanc, le mouvement, la douce mélancolie, les symboles et le coup de crayon de Tirabosco font parfois penser à Mattotti, et en particulier à Stigmates. Le Colporteur est une étrange histoire où se mêlent rêve et réalité. Umberto souffre, il est enfermé dans ses souvenirs d’enfance et voudrait qu’on le laisse prendre son envol. Il bute toujours sur les mêmes difficultés, incapable de les contourner. Sa rupture avec le passé se fera dans une certaine violence. Il doit accepter de regarder son existence en face sans se détourner. Arn et Tirabosco allient poésie, humour et originalité. Les nombreux masques, le symbolisme des personnages, le jeu de tarot, sont autant de pistes qui apportent une richesse à l’histoire et qui laissent le lecteur libre de son interprétation. Les angles de Tirabosco sont déroutants, comme des lentilles déformantes, comme si nous regardions l’album par le trou d’une serrure. Une très belle réalisation à ne pas manquer.