Difficile de savoir trop quoi attendre du nouveau film d’Ang Lee, cinéaste si protéiforme qu’il en est devenu, depuis quelques années, un des plus intrigants et des plus stimulants du cinéma commercial contemporain. La réception cannoise d’Hôtel Woodstock – qui a filé comme un souffle dans la compétition avant de se faire oublier presque aussi vite – fut peut-être trompeuse, bien que la teneur du film, extrêmement volatile, se prête volontiers à ce jeu tout en miroitements discrets qui semble devoir l’accompagner. Première certitude, cette initiation d’un jeune gentleman farmer coincé via le bouleversement occasionné par le passage de milliers de hippies en route pour le mythique concert ayant lieu non loin de là exhale une légèreté tout à fait inattendue de la part d’Ang Lee après la puissance mélodramatique et sensuelle de Brokeback mountain et de Lust, caution. L’humour de la première partie, sa manière très vive de croquer des personnages colorés (la mère avare, puis toute la petite communauté alentour) semblent tout droit sortis d’une satire de Christopher Guest, mêlant avec précision une sorte de bonhommie acidulée et l’impact sournoisement réaliste des meilleurs mockumentaries.
Mais Hôtel Woodstock joue de cette puissance burlesque en infra, se laissant bientôt emporter par le flux de l’histoire dont il se fait l’écho d’une manière curieusement détournée, à-travers l’exploitation d’un motel délabré qui sert d’étape aux beatniks de passage. La fiction initiatique – essentiellement sociologique et familiale, Elliot ne sachant que faire de son homosexualité dans ce petit bourg fermé sur lui-même – s’accomplit dans le creux d’une métaphore assez bouleversante où l’intime est comme balayé par le vent de l’Histoire, et qui tient dans un plan final à la beauté inouïe – l’espace dévasté des restes de la fête, comme un champ de bataille ouvert sur le néant. Il y a chez Ang Lee une conscience historique qui, dans le film, traverse en permanence la satire familiale douce amère à laquelle l’auteur semble se limiter en se refusant – jusqu’au grotesque – à dévoiler une seule image du concert. Une vue de loin suffit pourtant à condenser la puissance cosmique de l’événement, ponctuant une échappée psychédélique au bout de la nuit du jeune Elliot (séquence d’une douceur proprement hallucinante). Cette douceur volontiers cruelle donne à cet étrange objet, brillant par la sobriété de sa mise en scène, un caractère entêtant et discrètement onirique.