Michel Cloup (lire notre entretien), ex- Lucie Vacarme, Diabologum, Peter Parker Experience, Experience, Binary Misfits Audio, trouve une seconde jeunesse, à 40 ans et à la défaveur d’un drame personnel, dans « une histoire universelle, banale », qu’il nous raconte donc ici, « dans le creux de l’oreille ». Et ce n’est pas rien. Car passé le possible agacement d’un chanté-parlé en français avare d’effets et de mélodies, éminemment personnel et introspectif, c’est bien l’ambigüité et la plurivocité de cette histoire qui touche au cœur et s’installe durablement dans la mémoire de l’auditeur. Voici le récit d’une perte, d’une séparation d’avec l’être aimé, que d’aucuns entendront comme rupture sentimentale, d’autres comme deuil, mais qui jamais ne départagera ces interprétations, constituant par ce malentendu son universalité, une histoire singulière dans laquelle chacun retrouvera la sienne. Cela suffit à en faire un disque important.
L’interview réalisée révèle le fin mot de l’histoire, mais à écouter Le Cercle parfait (une déambulation dans des paysages autrefois partagés, comme un fil remontant une mémoire amoureuse, ou une alliance), Plusieurs fois cet après-midi (« Plusieurs fois cet après-midi, j’ai eu envie de t’appeler, pour savoir comment tu allais aujourd’hui / Nous aurions parlé de tout et de rien, une avalanche de banalités, comme nous le faisions quotidiennement ») ou L’Enfant (un récit de 11 minutes fiévreuses, où le malade devient soignant, où le fils devient le père, où l’enfant se réveille orphelin), c’est une étrange circularité des rôles et des émotions, qui voile et dévoile le lien profond et charnel unissant le chanteur à celui, celle, pour qui il chante. Ce cercle magique d’amour et de peine, confond l’auditeur : les corps deviennent poreux, les pensées s’échangent, les rôles s’inversent, comme dans un rite de passage. Comme il l’annonce dès le début de l’album, Michel Cloup « recycle sa colère » en un rituel (chamane, religieux), qui est aussi une (re)naissance. Ce qu’il y a entre eux deux, ce troisième terme de la relation (1 + 1 = 3), c’est le silence. Notre silence est le résultat de la disparition d’un des deux termes de la relation. Et ce n’est pas rien.
Dans le creux de l’oreille, Notre silence sonne comme une voix intérieure, sans réverbération ni overdub, juste cette diction très proche, la batterie de Patrice Cartier ouvrant longuement les charleys, claquant la caisse claire, et une guitare baritone claire ou patiemment saturée, dans une blancheur clinique, le tout joué lent et lourd, slowcore, comme on disait dans les années 90, en parlant de Codeine, Slint ou The For Carnation, ici reconnaissables influences (comme Smog, Sebadoh, Dinosaur Jr, Scout Niblett… et Steve Albini partout). C’est simple, efficace, suffisant.
L’histoire de Notre silence se termine comme Un Film américain, en un happy-end pop un peu forcé, comédie de remariage mise en scène par un fils aimant, décrivant la scène finale et idyllique de la mariée toujours en blanc, sous un arc-en-ciel éternel (on entend ailleurs une chorale enfantine chanter la musique du Wizard of Oz). Michel Cloup a imaginé qu’il y aurait un jour, à Paris, « de la neige en été » (sur le visionnaire #3, de Diabologum, en 1996). Il a traduit et chanté La Révolution ne sera pas télévisée de Gil Scott Heron, avec son groupe Experience. Il est récemment allé soutenir les indignados de Madrid. Mais il vient sans doute de produire son album le plus engagé, le plus militant, le plus humaniste, le plus révolutionnaire. Si la révolution doit être personnelle avant d’être collective, ce disque montre le chemin. Ce n’est pas rien. « Les murs portent notre silence », comme l’écrivait jadis une amie sur les murs de Paris.