Livre qui s’inscrit dans une postmodernité décomplexée, roman débridé, exutoire, parfois cocasse mais auto-référencé à l’excès, Les Terres rares appartient à ces objets littéraires qui flirtent avec l’expérimental et pratiquent gaiement le mélange des genres tout en cherchant une forme et une âme qu’ils perdent en cours de route. Difficile, dès lors, de se faire une opinion sur cet ultime roman de Vassili Axioniov (il est gravement malade, l’éditeur prévient que ce sera probablement son dernier livre) qui commence par un writer’s block somme toute assez classique, décrit par la voix de Basile « Bazz » Oxelotl, alter ego d’Axionov, comme cet état de « pneu crevé » dans lequel se trouve l’écrivain planté devant sa page blanche, cette impression d’être un « ballon de basket dont les rebonds auraient perdu de leur sonorité ». Très vite, l’action s’oriente vers une série de sous-intrigues ayant pour cadre la Russie des oligarques et des prisonniers de conscience, l’Afrique et, pour commencer (et finir), les plages de Biarritz, où Axionov a longtemps vécu.
Sous l’effet de son travail d’écriture, Bazz, qui a trouvé refuge parmi un groupe de Biarrotes débonnaires, voit sa propre réalité se déformer une série d’hallucinations plus ou moins réalistes (« Mon Dieu », s’écrie l’un des personnages à la fin du livre, « mon Dieu comme tout ici me rappelle des lieux où je n’ai jamais vécu, il me semble ! »). Grâce à Larocque, son vieil ami et partenaire de basket au clair de lune, Oxelotl rencontre Nick Orizon, un Anglais impubère et surfeur de haute volée qui parcourt le monde à la recherche de la crête de vague « extrême » sur laquelle faire danser « son short bariolé ». L’apparition de Nick crée l’étincelle et inspire à Basile « la transformation d’une dilogie enfantine » commencée en Union soviétique « en une trilogie pour grandes personnes ».
Pour grandes personnes ? Pas sûr. Car si dans ses débuts le roman d’Axionov donne des gages de cohérence, le récit est vite décousu ; il devient bavard, choisit d’être déroutant en priorité. Pour le lecteur peu familier d’Axionov, l’accumulation des détails, des références à ses « romans autonymes » (au point que la traductrice – ou est-ce Axionov lui-même ? – juge nécessaire de rappeler que l’auteur « procède souvent par autocitation » en mentionnant « les noms des protagonistes et nombre de héros de ses romans précédents »), Les Terres rares, titre choisi en référence aux « 15 éléments du tableau de Mendeleïev », se transforme assez vite en casse-tête narratif aux phrases fréquemment obscures, lardé de fragments de poèmes qui ralentissent plutôt qu’ils ne font progresser un récit plutôt chaotique. « Tu n’expliques pas aux gens de quoi tu parles, tu les obliges à chercher », explique au narrateur l’un de ses amis quelque part au milieu du livre. « Tu ourdis tes métaphores sans trop t’occuper d’eux. C’est pour cela qu’ils t’en veulent ». Tentative de désamorçage, sans doute, quoique la priorité d’Axionov semble justement se tenir là, dans la déconstruction systématique, presque colérique, de son œuvre. Ses grognements inaudibles d’écrivain mal léché, ses haussements d’épaules d’enfant terrible amusent pour finalement agacer. Dommage, car dans le matériau de ces Terres rares semble affleurer parfois une matière joyeusement trouble qui, avec cette rigueur que l’auteur s’acharne à rejeter, aurait pu faire, peut-être, un grand livre.