Déjà neuvième disque paru sous le manteau depuis 2003, A Few polar songs de Krotz Strüder (lire notre portrait / entretien) est de ces clous (rouillés) que l’on n’enfonce jamais assez. Enregistré sur un matériel de fortune puis mixé en mono en moins d’une semaine à « Longwy, banquise », il rassemble cinq poèmes d’Emily Dickinson et un d’Emily Brontë, rallongés d’un menuet instrumental et déposés dans la cendre chaude de chansons battues au tison, brûlé de ce beau chant aristocrate plein d’une douceur rageuse, intimidant d’abord, puis bouleversant. Neuvième bouteille à la mer donc, d’un reclus volontaire qui dans la lumière grise de ses propres périphéries jette à intervalles réguliers ses humeurs atrabilaires, appels à consolations, déclaration d’amitié sur quelques CDR tricotés main, distribués à qui veut par la poste, internet, ou par pigeon voyageur. Creusées dans le bois d’une vieille rapière acoustique, tendues d’arabesques électriques à se jeter d’émotion au cou du premier lampadaire venu et frappées en leur coin par une simple boîte à rythmes, ce sont des chansons de peu, d’une concision exemplaire, à l’imagination longue comme l’hiver et dont les paysages multiples se déplient à la mesure d’arpèges têtus – dont le langage harmonique polyglotte embrasse rugosité blues, jazz rêveur, musique classique, atomisés tous ensemble dans le même geste sûr.
Du krautfolk très Amon Düül II inaugural (titré I) à la ballade tendrement ternaire (titrée VII) qui conclue ce disque lo-fi vénéneux, tout est beau, singulier, atemporel et mystérieux, entre psychédélisme de chambre, oraisons funèbres et baroque de proximité. Les textes elliptiques et foudroyants, les riches nuances de gris, la splendide solitude, la musicalité renversante et le charme insidieux de l’ensemble font de ce petit chef d’œuvre famélique le meilleur ami blafard de la saison, et une nouvelle pièce de choix dans la discographie rare et impeccable de ce poète infini.