Alors que l’Angleterre se prépare à la guerre, Miss Pettigrew fait la queue à la soupe populaire. Aide à domicile au sombre passé, elle perd boulot sur boulot à force d’intransigeance avec ses maîtres. Le hasard va la mettre sur le chemin de Delysia Lafosse, jeune et pétulante actrice américaine qui cumule les boyfriends influents pour se faire un nom. La journée qu’elles vont passer ensemble va changer leur vie. Elle n’a l’air de rien cette comédie romantique, avec son casting poudré et sa reconstitution des années 30, mais derrière son allure anonyme court un drôle de rythme, une ligne de basse jazzy autour de laquelle s’enroulent de merveilleux accords. Pianissimo. Miss Pettigrew est un film à deux vitesses, l’une narrative, folle ligne droite d’une journée cruciale, l’autre psychologique, pudique et lente remise en cause de tous les personnages. C’est de ce coulissement entre emballement burlesque et nécessaire introspection que jaillit l’étincelle du film, la même qui, osons, illumine certains Cukor ou Blake Edwards. Comme ses maîtres évidents, Bahrat Nalluri n’a pas besoin de grand chose, de petites idées de mise en scène tout au plus – un jeu de miroir, une entrée de champ, une symétrie – pour dire une impasse ou un égoïsme, relayer l’émotion sans en donner l’air. Toujours ce sens du tempo de la sourdine, cette retenue vibrionnante qui fait depuis toujours le charme de la comédie anglo-saxonne.
Et puis il y a Amy Adams. Savoureuse et rayonnante actrice qui dit tout de cette génération montante, celle des Apatow girls (elle était de Ricky Bobby : roi du circuit), des Anne Hathaway aussi, capable de faire la décision d’une moue fugace, d’une ride inattendue (la scène de la voiture, bouleversante), de magnétiser le film autour de leur seule présence dans le champ. L’actrice est ici comme une petite sœur d’Audrey Hepburn, celle de Diamants sur Canapé, une adorable peste d’une légèreté à toute épreuve, un oisillon aux yeux grands ouverts, paumé quelque part entre ses désirs, que le film prend sous son aile avec délicatesse. C’est injuste au regard des efforts déployés par l’excellente Frances McDormand, mais c’est bien sa cadette qui, paradoxalement, à force de minauder, débusque le drame existentiel qui sourd derrière tout ça. Ce n’est pas une question de rôle (limité), pas même de jeu (idem), juste de fulgurance, de cette capacité rare à attraper quelque chose d’équivoque dans l’image – une seconde suffit, qui troue la carapace du film sans que l’on sache vraiment pourquoi. Ni comment. Il y a quelque chose de cet ordre dans sa chanson finale, If I Didn’t Care, qu’elle entonne avec un amant éconduit. Alors que la caméra travellingue autour d’eux et qu’un surcadrage isole discrètement son amoureux, elle n’a besoin que de détails, d’un subit décroché de voix, d’une émotion refoulée du bout des yeux, pour ramasser tout ce qui se joue à cet instant là. Sa beauté moirée est celle du film tout entier.