Un baiseur et un névrosé, associés et amis, font la tournée des écoles pour la promotion du « Minotaur », une boisson vert fluo conçue pour détourner les adolescents de la drogue (et qui fait uriner vert). Un jour, le névrosé saborde le show. Préférant échapper à la prison (où l’on se fait violer), les deux trentenaires se voient assigner un travail d’intérêt général. Ils s’occuperont chacun d’un enfant difficile au sein de Sturdy Wings, une association pilotée avec du muscle par une ex-droguée cinquantenaire.
Les Grands frères donne l’impression d’être une moyenne d’un peu tout. Pour les photos publicitaires qu’on voit dans les vitrines des pharmacies, disons sur la callosité des pieds, il y a deux options : soit minimiser l’image de la callosité (les pieds ne paraissent pas malades du tout), soit exagérer le vice (les pieds paraissent plus que malades). Idem pour les rides, les peaux acnéiques, les cheveux secs, l’eczéma, etc. Entre idéalisation et monstrueux, on retrouve la différence entre comédie et burlesque : dédramatisation et tentative victorieuse de conclure sur le bonheur de vivre, en harmonie avec soi-même et le reste du monde, ou exagération anormale et aporie d’agencements outranciers et inquiétants. Les Grands frères aurait peut-être pu réussir les deux photos à la fois.
Dans cette comédie Universal, le programme est tracé d’avance : les deux ados attardés, qui n’ont pas d’enfant, finiront bien par grandir (apprivoiser les enfants difficiles qu’on leur a confiés, jouer leur rôle de modèle paternel de substitution). Cependant, l’intérêt n°3 du film, c’est que l’accomplissement du programme est retardé : les quatre protagonistes restent sur leur quant à soi, se recroquevillent chacun de leur côté, ne s’aiment pas, ne s’entraident pas, ne pactisent pas, n’évoluent pas. Surplace burlesque : sketch autour du « Venti », réplique en pilotage automatique (quand « Marions-nous » devient une obsession délestée de pertinence psychologique), gestuelle simplifiée et discours non-sensiques de la patronne de Sturdy Wings.
L’intérêt n°2 du film, c’est le recours aux jeux de rôle (Donjons et dragons) et au déguisement (à la Kiss, le groupe de « rock »). Même si les personnages principaux des Grands frères ne sont pas des acteurs (comme dans Tonnerre sous les tropiques), ils peuvent quand même faire semblant de se réconcilier et de mourir avec panache. Le groupe des quatre n’emprunte pas vraiment les voies sentimentales et psychologiques des pactes amicaux et de la conciliation générale, il se constitue plutôt par le petit vertige de la fabulation. C’est Christopher Mintz-Plasse qui interprète Augie, celui qui ne vit que pour son jeu médiéval à échelle réelle : ce jeune acteur d’exception a été vu pour la première fois dans Supergrave (Mac’Lovin’, le garçon au gilet), on le verra dans le prochain film d’Harold Ramis The Year one, et il est l’intérêt n°1 des Grands frères.
Et pourtant Les Grands frères est un film très moyen. Même le schématisme de la performance d’Elizabeth Banks (la patronne de Sturdy Wings), qui est une actrice hilarante et inquiétante et qui jouait déjà de son autorité dans 40 ans, toujours puceau – même le schématisme de sa performance est un jeu de glisse sans aspérités. Les Grands frères ratisse trop large : le registre n’est pas suffisamment limité pour qu’un ton soit trouvé. Ils sont quatre scénaristes à être crédités au générique, et ils donnent l’impression d’avoir tellement travaillé et apporté chacun leur pierre à l’édifice que tout est intelligent, plutôt bien trouvé, mais saturant à force d’idées ou d’emprunts. Il y a dans Les Grands frères un peu de tout ce qu’on voit partout : de l’Apatow (cru, cul, adultes infantiles – ce qu’était déjà Paul Rudd dans En cloque, mode d’emploi), des Américains plutôt moyens qui ne supportent plus que leur vie n’ait aucun sens (et le névrosé des Grands frères est proche de celui qui ne sait dire que « non » dans Yes man). Cause ou conséquence de tout ça, la mise en scène est l’huile qui entraîne les rouages d’une mécanique disséminée. Mais ce n’est pas de l’huile qu’on jette sur le feu. Pendant tout le film, on pâtit de la sensation de ne voir que des « scènes d’usage » : scènes bien huilées pour lisser des idées déjà rôdées. Tout va trop vite, et sans doute cela fait-il partie de la chasse aux enlisements et autres débordements. Parfois néanmoins, le timing est parfait, par exemple lorsque le 4×4 customisé chevauche une statue équestre.