Après un premier moyen-métrage charmeur (Les Parallèles), Nicolas Saada se frotte logiquement au long. Casting touchant, pitch gentillet : un jeune rebelle accepte une mission d’infiltration pour sauver le monde mais tombe amoureux de la femme qu’il est censé manipuler. Plombé par des louanges annonçant quasiment la réincarnation d’Alfred Hitchcock en sa personne, Saada révèle avant tout une capacité assez héroïque à conduire son intrigue cousue de fil blanc et sa fragile mise en scène dans une ligne claire assez réjouissante. L’intelligence d’Espion(s) se loge dans ce qui pourrait n’apparaître a priori que comme surface ou détails – musicalité des scènes de transition, finesse des articulations psychologiques, malice des seconds rôles – mais qui finissent par agir comme une sorte d’amortisseur contre l’aspect cours de récréation qui menace (ce côté « costume de Palma offert à Noël », ces gadgets de fan-boy comme la B.O. de Cliff Martinez). Exemple-type : la séquence du dîner, véritable climax de la partie infiltration, qui passe comme une lettre à la poste malgré un découpage de stagiaire troisième équipe (suspense digne d’une sitcom AB) et des dialogues complètement artificiels. Le film semble avoir conscience de ces limites et joue de ruse ou de surprise (la première explosion, qui court-circuite toute élaboration de mise-en-scène). Pareil pour l’écueil des citations cinéphiles (le rendez-vous amoureux dans un musée), qui ne perturbe jamais la conduite tout en mineur de ce polar feignant assez malicieusement d’assumer l’héritage – on ne peut plus modeste – d’un Ne le dis à personne.
Même fraîcheur, même relative impuissance à dépasser l’illustration (quand il s’agit de se frotter aux grandes scènes attendues) transcendée en pari de légèreté – bien que Saada ait à l’évidence plus de ressources de cinéaste que Canet. Le film tire ainsi son meilleur de l’autre face du polar, la liaison entre Canet et la toujours précieuse Géraldine Pailhas. Sage et juste, la direction d’acteurs brille au dessus du reste, témoignant d’une aisance et d’une maturité qu’ébauchait déjà Les Parallèles. Dans ce registre, Espion(s) carbure à une sorte de romantisme dont l’aspect mal démoulé importe peu : converti en énergie pure, l’histoire d’amour entre les deux personnages pousse la mise-en-scène à son meilleur (les retrouvailles dans la chambre d’hôtel), la libérant brusquement de son académisme. Résultat des courses ? Sans casser des briques, Espion(s) se dérobe avec bonheur au pire de ce que peut produire l’affreux mix cinéma de genre français / cinéma d’ex-critique : aussi loin de la prétention burlesque d’un Cédric Anger (Le Tueur) que du nano-cinéma des héritiers de la génération Starfix, Espion(s) semble ne prétendre à rien, mais s’élève gentiment au-dessus des autres.