Sin city, 300 et d’autres ont poussé sur le devant de la scène Frank Miller, star de la BD devenu en quelques années l’épicentre de l’opération de fusion-acquisition entre le cinéma d’action et le comic-book qui domine aujourd’hui le paysage du blockbuster hollywoodien. La surprise de Sin city était double : un impact visuel inédit, qui tenait à une technique particulière, union moite de la prise de vue et de la case BD ; une logique narrative transfigurée, où les intrigues se nouaient et se dénouaient au long d’une coulée dramatique ininterrompue, à perdre haleine. The Spirit tente de reconduire la formule, du moins son premier volet, en portant à l’écran les aventures d’un héros inventé par Will Eisner dans les années 40 : The Spirit, un flic laissé pour mort et revenu d’entre eux pour combattre le crime à Central City. L’ouverture du film promet beaucoup, où se découvre une silhouette galopant sur les toits tandis qu’en voix off se fait entendre un chant d’amour sensuel et exalté pour la ville. Ensuite, présentation du méchant : Octopus, mégalo invincible qui veut dominer le monde et braille en conséquence (Samuel Jackson, yeux qui roulent et verbe haut, as usual) ; puis de la belle, au prix d’une soyeuse apparition : Sand Saref (Eva Mendes, argument n°1 du film, as usual).
The Spirit souffre de deux maux majeurs. Le premier, on l’oublie très vite : c’est Gabriel Macht, charismatique comme une courgette, qui n’existe pas une seconde dans le film et joue les figurants omniprésents. Le deuxième est largement plus ennuyeux, à tous les sens du terme : c’est le récit lui-même, amorphe et sans vigueur, inintéressant au possible, et qui ne prend jamais. Miller occupe le terrain avec la reprise des motifs graphiques dévoilés par Sin city, repris tels quels ici, et l’appétence charnelle pour les plis et les matières, les formes et les étoffes (festival d’Eva Mendès en ondine ou en toison d’or). Mais la narration s’écoule si mal dans le décorum ambiant que cravate rouge et semelles lactescentes paraissent gadgets bien gratuits.
A côté, les scènes de transitions, de dialogues, tout ce qui cimente la conduite du film, se noie dans une espèce d’anonymat pénible. C’est là qu’on voit combien Frank Miller a des progrès à faire, comme cinéaste. S’il ne manque pas d’idées, au contraire, s’il est capable d’injecter du feu sur la pellicule, lui reste à maîtriser des éléments plus basiques, mais sans quoi pas une scène ne tient la route : faire vibrer un champ-contrechamp, attraper dans le cadre une aspérité, un angle, découper un espace, faire tinter un rythme, etc. Le film réveille un peu quand il largue la monotonie de ses procédés pour se coucher sur d’autres litières, la série Z par exemple, avec l’invraisemblable carnaval des nazis. Trompe-l’ennui de circonstance, qui ne révèle que l’incurable manque de consistance du projet.