Deux films, dans Le Jour où la terre s’arrêta. Le premier est un remake plutôt raté d’un classique de Robert Wise, fleuron de la SF des fifties. Habile et beau, le film de Wise est une matrice absolue, par exemple pour le cinéma d’un Roland Emmerich, qui le citait à dessein dans Independance day. Et justement, le film de Derrickson évoquerait du sous-Emmerich, un décalque anémié et mal foutu. Le deuxième est un film avec Keanu Reeves, c’est un film qui part du désir de lui faire jouer un alien, et, en cela, il intéresse forcément. Regardons les deux films, dans l’ordre.
Le remake s’en tient à peu près à l’argument de l’original, soit : la venue sur Terre d’un extra-terrestre humanoïde plutôt sympa, flanqué d’une espèce de bodyguard en fer forgé, et débarqué afin d’expliquer à l’humanité que non, là, vraiment, ce n’est plus possible. La version Wise, pendant la première génération de la guerre froide, se voulait une parabole pacifiste (l’extra-terrestre y venait, en gros, éprouver l’utilité de la toute nouvelle ONU). Le remake repeint l’intrigue aux couleurs d’un catastrophisme écolo très à la mode, et transforme Klaatu en Nicolas Hulot taiseux. D’un récit à l’autre, la formule, moraliste, est intacte, elle continue d’être le squelette d’un genre qui est peut-être, par essence, plus américain encore que ne le fut le western. Toujours la menace (l’apocalypse) vient y faire office de tabula rasa, offre à la communauté pénitente de se régénerer et de contresigner le contrat social établi par les pionniers. Plutôt que l’apocalypse, le film de Wise jouait la carte de la parabole christique. Le remake, lui, repasse une couche d’apocalypse, lorgnant vers Emmerich (Sodome et Gomorrhe et les plaies d’Egypte, imagerie perpétuelle en toile de fond) sans en retrouver l’efficacité. Problème de construction, problème de rythme et de mise en scène, informe : le film s’enlise vite en son premier tiers, ne s’en relève jamais. Sauvons une scène, calquée sur le Wise, quand Klaatu et le colosse se présentent à la foule – la masse, la terreur collective, donnent de belles scènes au cinéma post 11/09, de La Guerre des mondes à Je suis une légende ou Cloverfield.
Au milieu de ce demi-naufrage, Keanu Reeves : nul, génial. Le projet du remake, nous confie le dossier de presse, tient à l’envie de son producteur, à l’époque où il s’occupait de Speed, de confier le rôle de l’extra-terrestre Klaatu à Keanu Reeves. Belle idée de miser, ici, sur la bouleversante étrangeté de Keanu, cette drôle d’évanescence par quoi chacune de ses apparitions ces dernières années (Constantine, A scanner darkly) se donne comme une espèce de happening transparent, fondé sur une résistance totale à l’incarnation et au relief, une façon d’aborder le jeu en passager clandestin, à la limite de la dilution pure et simple. C’est une pente qui nous intéresse de puis longtemps chez lui (on se penchait sur son cas, ici-même, à l’époque du film de Linklater), mais a trouvé une pointe passionnante depuis que ce corps a pris du lest et semble s’être engourdi irrémédiablement, cernant le moindre geste d’une pesanteur terminale et robotique. Il sauve presque le film, l’aspirant comme un vortex dans la contemplation de ce visage résolument alien où chercher, en vain, un reste naufragé d’humanité dans un océan de spleen et de botox.