Curieux projet que Je veux voir. Au regard de l’instabilité du pays où il prend corps – le Liban – voilà bien une sorte de film impossible. Cette injonction, qui est comme un lointain écho au « Tu n’as rien vu à Hiroshima » de Resnais / Duras, est prononcé, en début de film, par une star française – Catherine Deneuve, ici dans son propre rôle – à travers la vitre d’un building surplombant Beyrouth. Les deux réalisateurs y invitent alors la star à découvrir ce pays meurtri à travers l’habitacle d’une voiture et aux côtés d’un acteur libanais, Rabih Mroué.
La plus grande étrangeté du film c’est que du pays, Catherine Deneuve ne verra pas grand chose, restant la plupart du temps cloîtrée dans l’habitacle rassurant de la voiture, comme si les divers obstacles qui se présentaient en chemin (impossibilité de filmer par interdiction militaire, menaces que les milliers de bombes enfouies dans le sol explosent à la moindre incartade) empêchaient sans cesse la découverte sereine du paysage et de ses habitants. La peur indicible palpable sur le visage de la Deneuve et la tranquillité apparente de Rabih Mroué disent quelque chose de la terreur d’une occidentale protégée, quant son compagnon de fortune semble beaucoup plus fataliste. Le paysage lui-même ne peut désormais plus être observé paisiblement comme nous y invite généralement la beauté naturelle des choses, comme si la guerre s’était infiltrée partout, pas seulement sous la forme d’impact de balles sur les immeuble de Beyrouth et les maisons des villages, mais bien comme un limon souterrain, pourriture invisible du paysage.
Pour autant, le projet questionne, tant la rencontre espérée semble refusée par les protagonistes eux-mêmes. Pas sûr qu’on soit toujours très à l’aise devant la gêne de Catherine Deneuve face aux habitants de ce petit village détruit, alors que l’actrice a mis un pied au dehors de la voiture. Les cinéastes eux-mêmes ne vont jamais à la rencontre des villageois, observés de loin, comme tenus à distance par une méfiance naturelle. Le dispositif fait que jamais l’actrice ne sort de sa bulle protégée (cf. les gardes du corps qui l’entourent), comme si le film butait sur son propre postulat de départ (injecter une star, une figure internationale et glamour au sein d’une réalité rugueuse où sourd le danger) sans jamais tenter de le violenter (comme le fit Rossellini avec Ingrid Bergman dans Stromboli) et casser ce qu’on ne peut s’empêcher de voir, physiquement, c’est-à-dire au sens du territoire, comme une séparation de classe. Difficile de savoir si les cinéastes en sont conscients ou pas, le film naviguant dans des eaux incertaines. Resnais dans Hiroshima mon amour confrontait ses héros à de multiples images barbares, à la violence de la coupe. Rien de tel ici et c’est sans doute ce qui fait la limite du projet.
Le film n’en reste pas moins intriguant, quand ce voyage au fond irréalisable se mue en véritable trip et que le pays semble s’enfoncer dans l’abstraction la plus totale, jusqu’à ces images saisissante de la ville qu’on rejette à la mer pour en tirer le métal incrusté dans le béton. C’est Resnais ou Rossellini qu’on cherchait, c’est Antonioni qu’on trouve. Si ce ne sont pas les dernières images du film (la suite est ratée), c’est assurément celles qui restent avec le plus de force en tête.