Le contre-emploi est un art délicat. Utiliser le studio de RPG tendance intello, Monolith Soft, fraîchement acquis par Nintendo, pour leur faire réaliser un jeu d’action-aventure bourrin, c’est un peu comme engager Jean-Marie Straub pour lui faire tourner le prochain Will Smith. Un évident problème de casting qui peut toutefois déboucher sur malentendu productif. N’empêche : ah quelles sont loin les logorrhées domotico-nietzschéenes des Xenosaga ou, l’énergique et subtil système de combat de Baten Kaitos comme les envolées rococo-lyriques de ses décors improbables. Pour le dépaysement, Disaster : Day of crisis, c’est avant tout des immeubles en ruines, des terroristes au garde-à-vous et mère nature en mode rage. Traumatisé par la perte de son partenaire, Ray Bryce, un ex-secouriste d’élite se met en chasse d’un groupe de militaire renégats (le Surge) menaçant les Etats-Unis d’une attaque nucléaire, prenant en otage la soeur du dit partenaire décédé, tandis qu’un tremblement de terre provoque une chaîne de catastrophe (incendies, tsunami, inondations…) sur la ville de Ridge city.
Sur ce postulat un rien boursouflé, Nintendo se lance dans l’exercice de la licence grand spectacle sur fond de jeu d’action scénarisé (la première depuis le lovecraftien Eternal darkness sur GameCube). Autant dire un exercice périlleux, tant Nintendo n’est pas coutumier du genre. Dès les première minutes pourtant, Disaster impose un ton convaincant, à la fois très premier degré à travers une mise en scène léchée (acting de qualité, belles cinématiques, bande originale digne des grosses machines hollywoodiennes), mais jamais dupe de son rôle de série B à moyen budget (à l’image des récents films catastrophes dont il se fait le cousin ludique). Aux SOS The Final Escape et sa suite, l’humide Raw danger, très sobres, voire austères dans leur gameplay basé sur l’exploration, la récolte et l’utilisation d’items, le titre de Monolith Soft offre un contrepoint qui fait la part belle à un défoulement party game proche d’un Mario party. Un sprint sur falaise qui s’écroule sous vos pas ? Une fuite en voiture pour échapper à un torrent de lave ? Un massage cardiaque suivi d’un bouche à bouche sur un rescapé ? Les spécificités du duo wiimote / nunchuck sont utilisés avec un à propos énergique et immersif certain. Au risque de tomber dans le gadgetisme ? Oui, mais un risque qui participe d’une certaine cohérence car, malgré son propos alarmiste, plein de clins d’oeil au 7e Art comme à Metal gear solid, Disaster ne se prend pas toujours tout à fait au sérieux. La façon dont Ray explose des caisses pour se gaver d’un hamburger ou d’une tranche de pastèque ressemble aux mauvaises manières de Gene, héros du beat benny-hillesque, God hand. La présence d’un forain qui vous distribue des tickets pour un stand de tir en plein milieu du déluge ; une quête post game débilissime commenté par un animateur digne du juste prix ; un boss kojimien en diable… Vous l’aurez compris, tout en imposant un rythme haletant et un scénario à prendre au premier degré, Disaster revendique sans complexe sa condition de jeu fourre-tout. Du fait de cette réjouissante variété, difficile de ne pas regretter l’importance laissée aux séquences de tir qui n’apportent rien au genre et s’étirent parfois jusqu’au remplissage. Plus largement, grâce à la logique de level instable et soumis aux caprices soudains des éléments, les séquences d’exploration et de secourisme alternent en maintenant le joueur sur le fil de nouveaux dangers imprévisibles. Ici, une route devenu impraticable ; là, une église bientôt entièrement inondée ; là encore, une rame de métro en flamme. Sans atteindre le niveau de Raw danger dans le spectacle de niveaux transfigurés, mais sans en faire non plus le pivot de son cheminement, Disaster sait lui aussi, sur cette base de jeu de survie, construire un fil de progression convaincant.
Prenant et immersif, Disaster : Day of crisis s’impose sans peine (et il faut bien l’avouer, faute de mieux) comme le jeu d’action-aventure de cette fin d’année 2008 sur Wii. Malgré une réalisation irrégulière et un rythme hyperactif, Monolith Soft remplit honorablement le contrat de son premier jeu hors des sentiers battus du RPG. Mais reste-t-il quelque chose du style Monolith Soft dans ce titre et ces airs de pur produit de commande ? Le goût RPG pour le level up des compétences et des armes ? Cette façon de couper l’écran quand Ray vient de sauver une vie comme s’il venait de terminer un combat au tour par tour ? Oui, mais pas seulement. Le moment contemplatif et singulier semblable au répit pittoresque qu’offraient les villages de Baten Kaitos, le joueur le trouve dans un vieux chalet de montagne bercé par la lumière d’une douce cheminée. Dehors, des flocons de cendres grisâtre recouvrent tout. Dehors, ce seront des poumons rapidement asphyxiés, la course contre la lave et des terroristes en embuscade. Dehors, ce seront une fuite paniquée en voiture, une séquence de shoot et un Quick Time Event inopiné. Ici, il a l’air de faire chaud ; c’est encore un peu de réconfort. Heureusement, ça ne pourra pas durer.