Un jour de 1974, Jean-Paul Sartre franchit le Rhin et se rendit à la prison de Stammheim, où il visita le prisonnier Andreas Baader, qui y purgeait une peine de réclusion à perpétuité et faisait une grève de la faim pour protester contre les conditions de détention des membres de la Fraction Armée Rouge. Puis, Sartre rentra à Paris et écrivit un texte de soutien à Baader, jugeant anormal que ses conditions de vie ne soient pas les mêmes que celles de n’importe quel prisonnier, ce en quoi il avait bien raison. Mais le philosophe fut déçu, et le confia à voix basse. Il espérait secrètement rencontrer un militant, un homme politique, pour éprouver auprès de lui une certaine solidarité, fût-il en désaccord avec ses méthodes violentes. Mais cet homme, dont la conversation était amoindrie, bien sûr, par une éprouvante grève de la faim, lui avait donné l’impression d’être un peu con.
L’anecdote est fameuse et à sa lumière, et à voir ce film, on comprend mal en effet pourquoi la RAF est plus connue sous ce nom-là, « La Bande à Baader », quand Andreas Baader en était peut-être le leader charismatique, mais sûrement pas le cerveau. On sait bien que ce rôle était tenu par Ulrike Meinhof, dont le passage dans la clandestinité est montré par une scène un peu réussie (une fenêtre ouverte, par laquelle on se jette). Enfin, il vaut mieux le savoir avant de voir le film, qui ne fait pas beaucoup d’efforts ni pour casser la légende (romantisme révolutionnaire) ni pour la reluire (Baader y apparaît pour ce qu’il fut sans doute, un grand type costaud, un peu sexy, qui plaisait aux filles et avait soif d’action, c’est tout). Encore moins pour comprendre pourquoi, comment, une bande de jeunes gens sema la terreur en Allemagne, se retrouva en prison tandis que la deuxième génération de cette petite armée se radicalisa encore plus, dans un climat de confusion idéologique intense où se mêlaient appel au grand soir, activisme pro-palestinien (danger de la dérive rouge-brune) et tentative de guérir par le sang la plaie du nazisme. Sous-titré « Chronique des années de plomb », La Bande à Baader ne s’intéresse qu’aux rapports de police, aux procès-verbaux ; c’est là, très bas, qu’il situe son ambition, et naturellement il ne regarde rien, et bien sûr il n’a rien à dire.
Il y a deux manières d’approcher quelque chose comme les années de plomb. La manière strictement documentaire, avec des interviews, des archives, ce genre de choses ; et la manière cinéma, qui consisterait, pour un cinéaste, à créer à partir de cette époque ses propres images, mais des images affectées, personnelles, engagées en somme. Il y eut des films de la première manière, des bons et des mauvais. Il en existe aussi de la seconde sorte, par exemple Buongiorno notte de Marco Bellocchio ou le film collectif Allemagne en automne, et en particulier l’extraordinaire segment réalisé par Fassbinder. Ici, dans l’entre-deux inutile, des faits, des dates, des postiches, des acteurs (toutes les stars du cinéma allemand), de gros moyens, des accessoires d’époque, un Bruno Ganz pas possible dans un rôle pas possible. Le réalisateur, Uli Edel, s’était fait connaître par un film, Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée, à propos duquel Serge Daney avait écrit un texte terrible qui commençait comme ça : « un cliché, ce n’est ni vrai ni faux, c’est une image qui ne bouge pas ». A cette époque, c’était en 1981, la RAF n’était toujours pas dissoute, elle avait sept ans à vivre.