Le sacré se niche parfois dans de drôles d’endroits. J’en parlais récemment avec une fille – jolie vous vous en doutez. Ado, elle trouvait le sacré dans les elfes, les fées, une certaine vision du catholicisme. Moi, c’était dans le basket-ball, une certaine vision de Michael Jordan en Nijinski pop. Après, comme vous le voyez, il y a eu la musique, l’écriture. La répétition du même dans un autre objet, obscur bien sûr. Mais le basket, tous ces gestes répétés, j’en rêve encore. Mon corps et ma tête y sont irrémédiablement perchés.
Donc voilà : au commencement était le sacré. La sensation d’entrer dans une église. Et cette sensation se niche parfois dans des disques. J’en ai refait récemment l’expérience en écoutant Aimer ce que nous sommes de Christophe. Sur ce disque, deux morceaux m’ont particulièrement émus, presque aux larmes : Mal comme et It must ba a sign. Rien que d’en parler j’en ai les glandes qui se réveillent. Mais ce que je tenais à vous dire, c’est que dernièrement ce sentiment particulier je l’ai aussi éprouvé avec un disque dont les médias parleront moins. Ce disque c’est Aux solitudes de Jean-Philippe Goude – on dirait un titre à la Manset. Sans doute que ce nom ne vous dit rien. Pourtant, ce compositeur vous a déjà touché en plein coeur. Les arrangements de Mistral gagnant, c’est lui ; le générique de l’émission Caractères, encore lui ; celui d’Un Siècle d’écrivains, lui aussi ; d’Un Livre des livres, toujours lui. J’arrête là ? Le générique de Giga, c’est encore lui. Mais bien sûr, tout ça est loin d’être de l’Art puisqu’il s’agit de travaux de commande et comme ce pianiste a la musique en haute estime depuis sa plus tendre enfance et qu’il ne souhaitait pas croupir comme arrangeur D.A. dans la « variété de qualité », en 1985 il a décidé de trancher. D’un côté, ce sera la musique pour manger (la pub, l’audiovisuel), de l’autre, le grand sa(l)ut : la musique pour lui. Sacrée.
Entre 1992 et 2001, quatre disques sont sortis de cette intransigeante démarche. Paru fin août chez Ici D’Ailleurs, Aux solitudes est le dernier en date. Celui où son style affirme sa pleine singularité. Il y a de l’onde Martenot et des violons rythmiques mais ce n’est pas du Tiersen ; des élans pop symphoniques mais ce n’est pas Sufjan Stevens ; le lyrisme tragique d’un contre-ténor mais ce n’est pas un oratorio ; des interludes de synthé parano-mystiques mais ce n’est pas la B.O. d’un Lynch ; des passages guillerets mais ce n’est pas du baroque ; des instruments classiques mais ce n’est pas de la musique pour vieux. Aux solitudes, c’est un peu tout ça à la fois et comme c’est un vrai voyage (de Fantasia à X Files, de La Question humaine à Requiem for a dream, d’Antoine Volodine à Valère Novarina), c’est impossible à décrire. On peut juste dire que c’est étrange et touchant, et qu’il y a là des instants de grâce sans nom. Des moments sacrés, où une voix immense vient planer au-dessus du carnage. Apparition divine. Eplorée.
Découvrir un tel diamant noir dans le flot médiocre de l’actu CD, c’est comme allumer sa télé par une nuit d’insomnie, tomber tout d’un coup sur une émission bizarre et fascinante perdue dans les abysses de la grille des programmes et de rester happé. C’est découvrir qu’il y a toujours une quatrième dimension quelque part ; une rencontre du troisième type qui vous attend. Allez savoir où, le sacré se niche toujours dans de drôles d’endroits.