Pâle comme un éclopé en attente d’une perf de sang frais, bloqué aux urgences dans une boucle de temps dangereusement élastique, et malgré un soubresaut providentiel mais isolé (Dead space) le survival va (toujours) mal. Merci pour lui. D’un côté, il a été happé, dans ses incarnations les plus crâneuses, par la formule consacrée de l’actioner qui substitue à la peur du manque et à l’impératif de la sueur froide, la profusion inutile des armes, des checkpoints désengageant et des moments de bravoure putassiers. De l’autre, il radote dans des productions moins clinquantes les divagations mélancoliques de mécanismes lourdingues qui ne surprennent plus personne. Plus loin, toutes les grosses productions du genre carnassier action-aventure ont désormais glissé dans leur liste de passages obligés une séquence claustro panique à base d’assaut zombie… s’il fallait une autre preuve du démembrement du genre.
Sans doute parce qu’il refuse la querelle de ces catégories desquelles il ne réclame aucune filiation, et dont la sophistication du langage le laisse perplexe, Ju-on arrive-t-il à imposer une alternative revigorante, inactuelle et décalée. Sa proposition, il l’a construit sur un autre terrain, inattendu, celui du jeu de peur grand public. Dans la lignée life style du jeu pour perdre des kilos, calculer son rythme de marche ou entraîner son cerveau, Ju-on s’auto proclame « Simulateur de peur » (jaquette incongrue à l’appui, une jeune femme terrifiée derrière son canapé). Son dispositif ? L’adaptation d’une licence de film soporifique mais culturellement éloquente de la peur à la japonaise (supervisée quoiqu’un titre aussi vague que superviseur puisse signifier, par son réalisateur Takeshi Shimizu) et la sobriété de sa proposition de jeu.
Une lampe torche, un lieu inquiétant, une entrée, une sortie. Entre les deux points, quelques pièces à traverser avant que la lampe torche ne s’éteigne et une clé à trouver (parfois en plusieurs morceaux). C’est à peu près tout. Ce minimalisme induit par l’impératif d’introduire un nouveau public à la sensation survival permet une dynamique de jeu en forme de retour aux sources de l’angoisse. A chaque nouveau chapitre, un personnage différent, le plus souvent enfermé dans un lieu clos et pourchassé par les apparitions du petit garçon et de sa mère Kayako. En l’absence d’arme et de potion de soin (inutiles puisque les apparitions ne blessent pas. Elles attaquent et gagnent. Ou laissent s’enfuir le joueur à la faveur d’un Quick time event), tout repose sur l’énergie, rapidement déclinante, des piles électriques de la torche. L’obscurité équivalant à un game over. Maladresse conceptuelle ou au contraire astuce roublarde pour cacher la brièveté des missions (entre 10 et 20 minutes chacune), le personnage se déplace en marchant avec une lenteur certes exaspérante mais aussi, propice à redoubler l’angoisse focalisée sur cette torche que l’on sait bientôt à plat.
Avec une densité bien plus prodigue que les films du même nom, les apparitions associées aux effets sonores de maison hantée et de raclements gutturaux bien connus provoquent les sursauts escomptés et remplissent honnêtement le contrat de « simulateur de peur » et ce, malgré une certaine tendance à la répétition. En s’arrêtant là, on pourrait conclure un peu vite que Ju-on constitue un premier essai réussi dans quelque chose comme une préhistoire survival qui viendrait s’écrire treize ans après Resident evil. Une expérience horrifique réduite à ses enjeux les plus primitifs, viscéraux à l’image du renouveau de la mise en scène des survival et des slasher modernes au cinéma. Seulement voilà, non seulement Ju-on souffre d’une maniabilité parfois capricieuse, impossible elle, à légitimer sur le compte d’une économie de la terreur, mais de plus, son plus grand frisson d’effroi, il le provoque à l’endroit le plus inadéquat. Lorsqu’à la fin du quatrième chapitre, et en moins de trois heures, le joueur moyen s’apercevra qu’il en a atteint le bout (à un chapitre bonus prêt). Et cette étrange formule, à l’intérêt ludique bancal mais aux enjeux de relecture, à hauteur du genre, passionnants de se décomposer en fumisterie surévaluée. Terrible ironie que celle de voir lier dans un même élan de regret les multiples protagonistes de son scénario chorale, et le joueur financièrement floué.