On connaît trop l’horreur de la comédie de moeurs de chez nous (le puits sans fond des « sujets de société » picorés chez Delarue & co.), pour ne pas saluer un minimum le petit tour de force de Cliente, qui s’avère plutôt regardable. Triple gageure, même, puisque le film est à la fois la meilleure tentative récente du genre, le meilleur rôle de quinqua célibattante de Nathalie Baye (après le nanar Passe passe et dix ans après Venus beauté), et le meilleur film de Josiane Balasko. Comme Balasko elle-même, les pans les plus flatteurs du film reviennent, au fond, des années 80, d’une espèce d’artisanat louable de la comédie populaire et « sociale » qui n’a plus trop cours aujourd’hui. D’un goût sincère pour les personnages, surtout, et pour les comédiens, qui affleurait dans les précédents essais de Balasko mais peinait jusqu’ici à en percer la croûte boulevardière. Cette prééminence des personnages sur leur gangue sociétale constitue ici un anachronisme assez charmant et estimable, tranchant avec l’habituelle stratégie du millefeuille (une couche de sociologie, une couche d’affect, et ainsi de suite, ad nauseam) pour laisser s’inviter un goût du récit qui s’apparenterait presque, dans les meilleurs moments, à une forme de finesse.
Etonnante est, pas exemple, la facilité avec laquelle Balasko glisse du cœur de son sujet (les amours tarifés d’une grande bourgeoise revenue de l’amour, sujet porté de longue date et dont elle tira d’abord un roman) jusqu’aux contours d’un drame social et amoureux très doux. Le choix, surprenant a priori, de Caravaca dans le rôle du gigolo dont Baye s’entiche, forme un pivot salutaire, autour duquel Balasko équilibre assez efficacement les deux pôles de son film. D’un côté, le portrait de son héroïne quinqua, finalement assez léger et plaisant ; de l’autre, celui du petit milieu populaire de l’escort (gendre idéal de HLM qui se vend en secret pour aider sa jeune épouse à payer les traites de son salon de coiffure). L’attention avec laquelle Balasko gère ce va-et-vient jusqu’à faire se rencontrer les deux mouvements (le dilemme où se retrouve l’épouse quand elle découvre le manège), longeant patiemment, et sans vrai temps mort, la courbe des sentiments, est une vraie bonne surprise. Ce n’est pas le Pérou, c’est sûr, mais sur un tel terrain, habituellement labouré par le cynisme et l’incompétence, ça méritait d’être souligné.